Sur BFMTV, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont, au cours d'un débat musclé, proposé deux visions contradictoires et opposées de la France du XXIe siècle. D'un côté, une France plus progressiste, plus tolérante et ouverte sur le monde. Et, de l'autre, une France jacobine et recroquevillée sur elle-même.
Mélenchon vs Zemmour
La France renaîtra-t-elle de ses cendres ?
‘‘La France fait partie de la grande famille des Nations humaines. Elle est une Nation mondiale’’ Jean-Pierre Chevènement, Le Figaro, 31 janvier 2015.
Par Joël Asher Lévy-Cohen *
Pour lancer la campagne de la présidentielle de 2022, BFMTV a organisé un débat télévisé de haute facture. Celui-ci opposait chaudement – pour ne pas dire virilement – le candidat de l’Union populaire à l’élection présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon, au journaliste, chroniqueur, animateur, polémiste et essayiste Éric Zemmour[i].
Ce débat, d’ailleurs fort enrichissant et fort intéressant, proposait deux visions contradictoires et opposées du pays dans le monde contemporain. D’un côté, une France entièrement ouverte sur le monde, plus juste, plus fraternelle et plus solidaire à l’égard des communautés étrangères qui y vivent. Tel est le discours prôné par Jean-Luc Mélenchon visiblement sensible aux préoccupations environnementales.
De l’autre, une France nostalgique de son passé colonial et assimilationniste, très accrochée à une culture exclusive, très réfractaire au cosmopolitisme, au communautarisme et au multiculturalisme, et très tolérante envers le patronat de droit divin. Tel est en substance le discours du polémiste Éric Zemmour.
Il ne fait aucun doute que, par la pertinence des thématiques soulevées et des réponses apportées, ce débat devrait normalement interpeller la France tout entière, tout son peuple ainsi que ses élites dirigeante et intellectuelle, à l’aube d’un scrutin présidentiel qui s’annonce décisif[ii]. En effet, celui-ci pose évidemment la problématique du ‘‘vivre-ensemble collectif’’. Une question lancinante qui hante quotidiennement une grande Nation ‘‘libre’’ et ‘‘démocratique’’, à juste titre ‘‘promotrice’’ patentée de l’idéologie des droits fondamentaux de la personne humaine.
À ce propos, un constat se dégage très clairement et très nettement. Cela fait pratiquement près de 40 ans que le débat houleux sur l’immigration domine intensément l’espace politique français. Celui-ci a été imposé par le ‘‘Front national’’ (FN) de Jean-Marie Le Pen au début des années quatre-vingts[iii].
Ce faisant, ce personnage politique, d’ailleurs, fort controversé a été stratégiquement utilisé par la gauche démocratique dans l’intention manifeste de fracturer les voix de la droite lors d’élections. Machiavélisme et même cynisme politique obligent, ce grand tribun a été propulsé dans le paysage politique français par les ‘‘héritiers présomptifs’’ de Jean-Jaurès et de Léon Blum dans l’unique optique de diminuer très sensiblement lors de scrutins majeurs et nationaux l’influence dominante de la droite conservatrice et libérale[iv]. Ainsi, depuis l’avènement démocratique du régime socialiste de François Mitterrand, le microcosme politique national est tout à fait incapable de s’affranchir une fois pour toutes de thèses ‘‘extrémistes’’ et ‘‘racistes’’[v]. Pour quelles raisons ?
Face au courant ‘‘extrémiste’’ et au discours ‘‘raciste’’, aujourd’hui banalisé au niveau journalistico-médiatique et librement véhiculé par des officines publiques ou privées, la Conscience universelle demeure pratiquement atone. Elle joue malheureusement aux abonnés absents. Celle-ci a fini par déserter complètement le pays d'Arthur Rimbaud, la Terre des droits de l’Homme et du triptyque républicain ‘‘Liberté – Égalité – Fraternité’’. Par conséquent, face à l’urgence nationale d’un pays certes confronté aux démons de la ‘‘division’’ et de la ‘‘ségrégation’’, où sont-ils, en vérité, cachés les descendants et légataires universels de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir ? Où se cachent-ils, de nos jours, les héritiers de l’Abbé Pierre ?
Il est un fait éminemment établi que la France est plutôt connue pour être un pays de penseurs et de philosophes. Ceux-ci ont la saine réputation de se projeter dans le futur pour offrir à leurs pairs un rêve de liberté, un idéal de paix et d’harmonie, de solidarité et de fraternité, de justice et de dignité. Par conséquent, où est-elle passée cette crème intellectuelle dont la noble mission consiste à s’opposer vigoureusement aux discriminations sociales et injustices inhumaines, à combattre de toutes ses forces l’exclusion et l’intolérance ?
Comme les thèses extrémistes du Front national (FN), d’ailleurs, mué en Rassemblement national (RN), contaminent le spectre politique pendant près d’une quarantaine d’années, peut-on affirmer que la France est devenue un pays intellectuellement aride et figé dans le temps ?
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
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[i] Ce polémiste hors pair, fort connu pour ses diatribes anti-étrangères, sa stigmatisation des communautés musulmanes (africaines, arabes et maghrébines) de France, a déjà été condamné définitivement par la justice française pour provocation à la haine raciale. Voir et lire, à cet effet, l’Arrêt de la Cour de cassation du mardi 17 septembre 2019 et l’Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 mai 2018.
[ii] Cette échéance arrive à grands pas et, d’ailleurs, s’annonce à grands coups de klaxon.
[iii] Ce parti peine toujours à conquérir les clefs du Palais de l’Élysée quand bien même il dispose à tous les échelons de la vie politique nationale et européenne des élus désignés par le peuple français.
[iv] Le Front national de Jean-Marie Le Pen qui s’appuyait normalement sur des paysans agriculteurs totalement déçus de politiques européennes et des patrons rejetant vigoureusement les taxations gouvernementales sur les profits des entreprises [à titre d’exemple, la taxe professionnelle instaurée sous le régime de Valéry Giscard d’Estaing (VGE) pour soutenir la formation professionnelle ou le recyclage des employé(e)s], a commencé à rapidement émerger dès l’avènement socialiste. Il a commencé à essaimer petit à petit et gangréner progressivement la France à partir des bastions politiques et électoraux totalement désertés par la gauche communiste en raison du fort taux de chômage causé par les friches industrielles.
[v] Dans les années quatre-vingts, le Front national (FN) de Jean-Marie Le Pen qui se construit une légitimité populaire, devient un parti dominant. C’est la proportionnelle introduite en 1986 par le Parti socialiste (PS) qui lui permet de faire irruption sur le champ politique. C’est, toutefois, au début des années quatre-vingt-dix que le lepénisme contamine toute la classe politique nationale se réclamant idéologiquement de la droite conservatrice et libérale. Y compris la gauche démocratique lorsque le Premier ministre Michel Rocard déclara ouvertement que ‘‘la France ne pouvait recevoir toute la misère du monde’’ et lorsque son successeur Édith Cresson préconisa ‘‘l’utilisation des charters pour expulser les immigrés’’. C’est également à cette époque que la France des droits de l’Homme assiste de plus en plus officiellement à des tractations politiques entre la droite conservatrice et l’extrême-droite pour la cogestion des entités publiques au double niveau municipal et régional.