Le conflit militaire russo-ukrainien a exacerbé de vives tensions religieuses au sein de la grande famille orthodoxe. Cette guerre meurtrière a élargi le fossé béant qui existe malheureusement entre l'Église de Russie - qui partage les visées bellicistes de Moscou - et l'Église de Constantinople personnifiée par le Patriarche Bartholomée 1er. Prenant le parti de l'Ukraine dont l'Église orthodoxe d'Ukraine est placée sous sa juridiction, ce dignitaire gréco-turc n'a pas manqué de dénoncer l'agression militaire russe dans les termes les plus forts. Sur cette image, le Patriarche de Constantinople Bartholomée 1er officialise l'adhésion de l'Église orthodoxe d'Ukraine mise en orbite par le président Petro Poroshenko le samedi 15 décembre 2018.
Le primat de l'Eglise orthodoxe russe, le Patriarche Kyrill, est le porte-voix du Kremlin ou la conscience spirituelle du régime de Vladimir Vladimirovitch Putin.
Le conflit russo-ukrainien et l’influence du pouvoir religieux
L’implosion du Monde orthodoxe
De la querelle de clocher à la guerre de religion
Les divinités martiales choisissent leur camp
‘‘Les religions fourniront toujours, à ceux qui les cherchent, les meilleurs prétextes à des guerres civiles.’’ Alexandre « Sacha » Guitry, Le 21 janvier 1793, p.283, in Pièces en un acte, Éd. Omnibus
Par Joël Asher Lévy-Cohen *
Depuis le 24 février 2022, la guerre russo-ukrainienne oppose violemment deux États au cœur de l’Europe. Cette conflagration armée, – qui plus est meurtrière –, oppose, surtout, deux Nations qui revendiquent culturellement des racines chrétiennes. En effet, la Russie et l’Ukraine sont pratiquement toutes deux de tradition orthodoxe. Bien entendu, celle-ci remonte au premier millénaire de l’ère commune.
Ce conflit armé dont les prétentions sont pourtant nationales, présente cette particularité et même cette singularité de se transformer ouvertement en conflit religieux. Il est un fait que le grand patriarcat orthodoxe de Kyïv était, jusqu’à tout récemment, subordonné à celui de Moscou. Force est de souligner que ce dernier est, d’ailleurs, étroitement inféodé au régime politique de Vladimir Vladimirovitch Putin[i].
Toutefois, depuis 2018, un schisme s’est visiblement opéré au sein de l’Église orthodoxe ukrainienne[ii]. En effet, il existe réellement deux Églises orthodoxes en Ukraine[iii]. L’une est complètement ‘‘dépendante’’ du grand patriarcat de Moscou (Kyrill). Et l’autre est entièrement ‘‘autocéphale’’. C’est-à-dire : ‘‘indépendante’’.
Du fait de l’agression militaire russe, l’Église orthodoxe ukrainienne directement reliée à Moscou a pris toutes ses distances de la Maison mère. Elle a adopté cette posture dans la mesure où le grand patriarcat de Moscou n’a vraiment jamais condamné ouvertement et de sa propre bouche l’agression physique dont souffre cruellement l’Ukraine de la part de son voisin nordique, d’une part. Et, d’autre part, cette plus haute autorité religieuse s’est faite le porte-parole de la cause russe en reprenant in texto toutes les récriminations de la Russie envers son plus proche voisin.
Par ailleurs, il sied de reconnaître que le fossé déjà abyssal entre les deux fameuses Églises s’est encore élargi lorsque des évêques orthodoxes ukrainiens ont demandé à leur prêtrise de ne plus mentionner dans les prières publiques le nom du Grand patriarche Kyrill[iv] de Moscou dont les accointances avec le Kremlin sont, à vrai dire, un secret de polichinelle. Cette scission religieuse aux accents purement politiques et non point dogmatiques a vite conduit Kyïv à se détacher complètement de la tutelle spirituelle de Moscou. Dans cet élan d’indépendance religieuse, l’Église ukrainienne a immédiatement fait ‘‘allégeance’’ au grand patriarche orthodoxe de Constantinople, le Gréco-turc Dimítrios Arkhontónis, dont le nom apostolique est Bartholomée 1er[v].
S’il a évidemment eu pour effet de fragmenter officiellement le microcosme orthodoxe, il n’en reste pas moins vrai que les frictions militaires russo-ukrainiennes ont finalement divisé les obédiences religieuses de la planète terrestre au point de les réaligner derrière chaque belligérant. Il convient de mentionner que ce soutien n’est pas forcément formel voire même officiel. Il est, plutôt, implicite. Il n’est pas déclaré de manière explicite par leurs hautes instances religieuses qui, pour la plupart, observent une certaine neutralité[vi] vis-à-vis de ce conflit.
Ce qui est sûr et certain, il existe une ligne de fracture qui sépare de manière tranchée et nette l’axe judéo-chrétien[vii] qui s’aligne comme un seul homme, au niveau de l’opinion publique, derrière l’Ukraine envahie par la Russie et le monde arabo-musulman qui voit en Putin une solide garantie au Multilatéralisme[viii]. Ce sentiment, d’ailleurs, favorable au Maître du Kremlin et fortement affiché par les ‘‘adeptes de Muhammad’’ est lié au fait que la plus grande Mosquée construite en dehors de terres musulmanes se situe à Moscou, la capitale de la Russie[ix]. Il importe de noter que cet immense édifice a été inauguré par le président Vladimir Vladimirovitch Putin qui place – pragmatisme politique oblige – sur un pied d’égalité toutes les religions ayant pignon sur rue au sein de la Fédération de Russie[x].
Dans le sous-continent indien où coexistent, bien sûr, des religions antagoniques sur le terrain dogmatique, tels l’Islam, le Bouddhisme et l’Hindouisme, la préférence pour la Russie de Vladimir Vladimirovitch Putin ne fait point de doute. Celle-ci est réellement plus large. Dans cette région, il y a un fort rejet de la vision du monde, d’ailleurs, partagée par les États-Unis et leurs alliés membres de l’Union européenne qui sont, de surcroît, des sponsors du gouvernement ukrainien et du président Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky.
Cependant, en Extrême-Orient manifestement balayé par trois grands courants religieux que sont le ‘‘Taoïsme’’ chinois, le ‘‘Shintoïsme’’ japonais et le ‘‘Bouddhisme’’ tibétain, les ressortissants de l’Empire du Soleil[xi] levant sont, plutôt, nettement favorables à l’Ukraine. Cela s’explique par la promiscuité idéologique entre le Japon et l’Occident qui se définit libre et démocratique. Par contre, les sujets de l’Empire du Milieu appuient très largement le Maître du Kremlin. À cet égard, la propagande politique aidant, ils considèrent que la crise ukrainienne est plutôt à mettre au passif de l’OTAN et de l’Union européenne. Quant au peuple résilient de Taiwan (anciennement Île de Formose) qui, depuis fort longtemps, est dans le viseur de la République populaire de Chine et vit sans conteste dans la crainte permanente d’une invasion militaire de la part de cette puissance communiste, son appui envers le peuple meurtri de l’Ukraine est sans équivoque.
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
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[i] Le grand patriarche orthodoxe Kyrill de Moscou que d’aucuns déclarent être un agent du KGB, soutient ouvertement les opérations militaires de Moscou en Ukraine. Né à Leningrad en 1946 au nom de Vladimir Mikhaïlovitch Goundiaïev et doublement partisan invétéré de l’invasion militaire et de la Russie pure, celui-ci a fait bénir les armes utilisées par les forces russes en Ukraine. À cet égard, il a béni les militaires russes qui, pour lui, sont engagés dans une croisade de la liberté. D’après lui, la Russie de Poutine est investie dans une guerre sainte en vue de sauver le Monde de la décadence morale et spirituelle que représente l’Occident. Selon cette autorité religieuse, Russkii Mir (le Monde russe) dont la capitale spirituelle est ‘‘Kyïv’’ et dont la capitale politique est également ‘‘Moscou’’, est le grand rempart contre cette déchéance manifestement programmée par l’homo occidentalis dont le poste avancé est l’Ukraine.
[ii] Lors du concile présidé par le président ukrainien Petro Oleksiovytch Poroshenko le samedi 15 décembre 2018, une Église orthodoxe ukrainienne indépendante de Moscou (dite Église orthodoxe d’Ukraine) voit le jour. Celle-ci est dirigée par le Métropolite Épiphane.
[iii] Église orthodoxe d’Ukraine (indépendante de Moscou) et Église orthodoxe ukrainienne (rattachée au patriarcat de Moscou).
[iv] Cyrille.
[v] Il sied de relever que ce personnage central du monde orthodoxe grec a fermement condamné l’invasion russe.
[vi] Toutefois, cet appui peut être simplement déduit du fait du comportement affiché par les ouailles de chaque religion vis-à-vis de ce conflit armé.
[vii] En majorité, les Juifs du Monde entier et d’Israël éprouvent réellement de la sympathie et de la compassion pour le peuple ukrainien. Par contre, au niveau de la chrétienté romaine, l’Amérique latine n’a pas du tout la même lecture du conflit russo-ukrainien que la vieille Europe. Au niveau de l’opinion publique, ce continent latin tend à appuyer ouvertement la Russie de Putin contre les thèses des États-Unis transformés en défenseurs acharnés de l’Ukraine. Par ailleurs, l’axe judéo-catholico-protestant en Occident chrétien est aussi renforcé par des Orthodoxes occidentaux. Quant aux Orthodoxes slaves, l’opinion publique serbe se range majoritairement derrière la Russie pour avoir été pointée du doigt lors de la guerre du Kosovo au début et au milieu des années quatre-vingt-dix. Dans les autres pays slaves, la peur d’invasion militaire provoquée par le Kremlin les incite à soutenir l’Ukraine et à se placer sous parapluie américain.
[viii] Cette perception est largement partagée autant chez les Chiites que les Sunnites.
[ix] Contrairement aux conventions internationales, les représentations diplomatiques ukrainiennes éparpillées dans le globe ont tenté d’enrôler des combattants de la légion étrangère dans certains pays, entre autres africains, à majorité musulmane. C’est l’exemple du Nigeria et du Sénégal.
[x] Il y a lieu de mentionner que les combattants tchétchènes de la région du Caucase et tartares de la presqu’Île de Crimée culturellement et traditionnellement islamisés participent directement à l’effort de guerre russe contre l’Ukraine. Cette coalition est renforcée sur le terrain par des combattants chiites de la Syrie très proches de Bachar el-Assad. Donc des alliés du Hezbollah chiite libanais et de l’Iran. Par contre, de nombreux ressortissants des pays catholiques et protestants, y compris des sujets juifs israéliens, ont grossi les rangs des légionnaires étrangers venus prêter main forte à l’Ukraine contre la Russie.
[xi] Les Japonais occupés par les forces américaines depuis la seconde guerre mondiale sont systématiquement alignés sur les visées des États-Unis en tant que soutien stratégique aux forces ukrainiennes. Tandis que les Chinois dont l’obsession gouvernementale est, à vrai dire, l’expulsion des États-Unis de l’Extrême-Orient soutiennent la Russie.