Le Destin de Martin Luther King et de Patrice Emery Lumumba
Quel rapport existe-t-il réellement entre l’Africain-américain Martin Luther King et l’Africain-congolais Patrice Emery Lumumba ? De prime abord, et même sans trop les connaître, bien des personnes ne verraient aucun lien apparent ou objectif entre ces deux monuments de l’histoire négro-africaine. Celles-ci insisteraient peut-être, directement, sur la couleur de leur peau noire comme point de ralliement ou de ressemblance ! Par contre, d’autres pourraient laisser entendre que ces deux personnages historiques sont bel et bien morts la tête bien haute pour avoir plutôt défendu énergiquement une cause noble et universelle fondée sur l’humanisme : ‘‘la lutte pour les droits des peuples et la dignité en faveur des opprimés’’. Il importe de mentionner que leurs vies respectives faites de sévères épreuves se déroulent dans un univers confronté aux dures épreuves que connaissent le temps et la civilisation humaine.
Le pasteur Martin Luther King et le Premier ministre Patrice Emery Lumumba sont tous deux congénères des illustres combattants pour la liberté et l’égalité des Peuples que sont Malcom X, leader antiségrégationniste des Black Muslims aux États-Unis d’Amérique, Amilcar Cabral, génie de la liberté et aussi penseur de la révolution anticolonialiste et anti-portugaise en Guinée-Bissau, ainsi que Nelson Mandela, chef historique du mouvement anti-Apartheid, le Congrès national africain (ANC), prix Nobel de la paix et ancien président de la République Sud-Africaine (RSA) post-ségrégationniste.
Issu d’une famille très croyante et très pratiquante de Georgie, le Dr King est né le 15 janvier 1929 à Atlanta. Il voit le jour dans une Amérique durement laminée par la crise économique et surtout meurtrie par la fameuse ségrégation raciale, l’exclusion politique, économique, sociale et culturelle dont pâtissent cruellement les Noirs ainsi que les autres minorités ethniques. Après des études de sociologie et de théologie, celui-ci embrasse immédiatement la vocation pastorale à l’instar de ses humbles parents. Cette voie du Seigneur lui ouvre très rapidement le cœur et l’esprit pour être sans cesse à l’écoute de l’Autre, de découvrir et de partager la misère de son Prochain. Dans ce contexte de partage des souffrances aussi bien physiques que morales d’autrui, de quête des moyens de satisfaction des conditions matérielles et humaines, gît indubitablement le messianisme de cet éminent Apôtre de la paix du 20e siècle.
Le leader panafricain et congolais Lumumba vient d’une famille modeste. Celui-ci est né le 2 juillet 1926 à Onalua, dans le territoire atetela de Katako-Kombe, au Kasaï Oriental. Après des études accomplies dans des écoles catholiques où il s’est fait très rapidement virer, puis protestantes où il décroche finalement un certificat sanctionnant la fin du circuit primaire, Patrice Emery Lumumba devient successivement commis des postes à Stanleyville (Kisangani), chef-lieu de la Province Orientale (Nord-est), et directeur commercial d’une importante brasserie à Léopoldville (Kinshasa).
Cette personnalité voit le jour et vit effectivement dans une ère où la colonisation sévit cruellement en Afrique. Au cours de cette période extrêmement difficile où l’idéologie négationniste visant à n'en pas douter une grande partie de l’humanité règne d’ailleurs à outrance, l’Africain se voit dénier par l'oppresseur les droits les plus élémentaires reconnus pourtant à l’être humain. Celui-ci n’est pas complètement libéré d’entraves de l’exploitation économique et de chaînes de l’aliénation mentale. Ces carcans sont, sans contredit, le fait exclusif des puissances étatiques et gouvernementales européennes.
Par conséquent, totalement révolté contre les injustices et brimades coloniales, enragé contre l’écrasement systémique de l’homme congolais, Patrice Emery Lumumba sacrifie toutes ses responsabilités professionnelles et familiales pour s’occuper exclusivement du Mouvement national congolais en sigle MNC. Outre la souveraineté internationale et l’indépendance nationale de la République démocratique du Congo devenues effectives le jeudi 30 juin 1960, cette formation politique prône, en fait, la libération de l’Afrique tout entière de l’hégémonisme socioculturel et de l’impérialisme politico-économique de l’Occident chrétien.
Face à une Amérique des plus frileuse, recroquevillée, consolidée dans ses convictions esclavagistes et confortée, à travers ses normes légales, dans ses préjugés raciaux, la lutte pour les droits civiques engagée par l’illustre pasteur King oppose une vision éclectique. Celle-ci puise son inspiration dans le Tanakh juif, la Bible chrétienne, la philosophie de Mahatma Gandhi et la Révolution américaine de la fin du XVIIIe siècle. Dans sa logique, elle propose le dépassement des antagonismes violents et suicidaires pour la société humaniste et universelle entre Blancs et Noirs. Dans sa démarche plus que moralisatrice fondée sur l’Amour, elle propose le dépassement d’une simple réconciliation de ces deux Communautés raciales, d’ailleurs, en constante opposition, en contradiction permanente en vue de lui substituer la conciliation de grands idéaux de liberté et de démocratie, de justice et d’équité, de dignité et de solidarité entre tous les êtres humains, et ce sans distinction aucune.
En d’autres termes, cette vision idéologique prônée par Martin Luther King propose de revenir aux sources profondément inspirantes de la Constitution américaine dont le principal architecte est, à vrai dire, le juriste Thomas Jefferson. Elle propose, donc, de revenir substantiellement à l’esprit prévalant - en principe - à Philadelphie [Révolution philosophique et politique donnant naissance aux États-Unis d’Amérique] en 1776. C’est dans cette direction que cet Apôtre de la non-violence canalise très fermement tout son combat en faveur de la promotion des droits civiques. Ceci dans le but d’accoucher d’un monde meilleur où le langage dominant est celui de la paix civile et de l’harmonie sociale, de la tolérance du prochain et de la dignité humaine axée sur la justice et la liberté.
Par conséquent, devenu immédiatement chantre de l’égalité, de la solidarité et de la fraternité entre les peuples, races et cultures, Martin Luther King opère en réalité une véritable révolution mentale et psychique. Bénéficiant de la médiatisation de son combat, celui-ci bouscule en fait les forteresses psychologiques de l’environnement américain qui découvre de l’intérieur ses propres horreurs. À ce titre, il se résout à arpenter l’immense territoire national que sont géographiquement les États-Unis d’Amérique en vue d’apporter, tel un Apôtre illuminé par le Saint-Esprit, le grand message de Paix, d’Espoir, de Vérité et d’Amour en tant que Miroir, Reflet identique de la Force Divine dans toute l’existence humaine.
Le messianisme lumumbiste dont la pierre angulaire est en vérité idéologiquement et politiquement le nationalisme congolais, puise en vérité ses racines profondes dans la pensée humaniste et universelle. Ce discours est fondé sur la nécessaire réhabilitation de l’espèce humaine brimée par le totalitarisme colonial dont le suppôt est, à n’en pas douter, le capitalisme sauvage ou le libéralisme esclavagiste ou négrier. Ce qui atteste bien évidemment que Patrice Emery Lumumba prône dans sa démarche une humanité mature et responsable, qui acquiert toutes ses lettres de noblesse par la liberté et la dignité. La Liberté est ici comprise comme un Don de Dieu que l’on ne peut ni troquer ni négocier sous quelle que forme que ce soit. Cette dernière signifie irréversiblement le rejet de l’exploitation économique et sociale, le refus de l’aliénation mentale ou culturelle de l’être humain.
Si cet univers que rêve réellement Patrice Emery Lumumba se conjugue éminemment avec la justice et la liberté, il y a lieu d’affirmer que cet environnement social et humain rime surtout avec l’égalité. C’est-à-dire : le refus catégorique de l’infériorisation et de la déshumanisation de l’individu. C'est le rejet des théories ‘‘suprématistes’’ [doctrine fondée sur la suprématie raciale].
Cette vision lumumbiste met, donc, en relief la fraternité entre les races et les cultures. Celle-ci met en perspective la solidarité entre les différents Peuples opprimés en vue de recouvrer entièrement la liberté. À cet égard, le leader congolais et panafricaniste exprime ouvertement son soutien indéfectible à la lutte pour l’indépendance nationale de différents territoires placés sous le joug colonial (Algérie, Angola, Cameroun, Guinée-Bissau, Mozambique, etc.) ou violemment opprimés par le carcan ségrégationniste [Apartheid] (Afrique du Sud, Namibie, Rhodésie du Sud, aujourd’hui Zimbabwe) lors de la Conférence sur le rassemblement des Peuples africains à Accra (Ghana) en 1958.
Force est d’admettre que le lumumbisme historique s’inscrit en principe manifestement dans l’idéal du Panafricanisme. Ce mouvement libérateur des Peuples opprimés et des Nations assujetties est très cher à l’Égyptien Gamal Abdel Nasser et à l’Éthiopien Haïlé Mariam Selassié 1er (le Négus Ras Tafari Makonnen). Aussi est-il partagé avec engouement et conviction par le Ghanéen Osayegyefo Kwame Nkrumah, le Guinéen Ahmed Sékou Touré, le Tanzanien ‘‘Mwalimu’’ Julius Nyerere et le Tunisien Habib Bourguiba.
Par ailleurs, le combat mené farouchement et tambour battant par ces deux personnages historiques se heurte virulemment aux murs de l’incompréhension, de l’intolérance et de l’inimitié. Ainsi, pour avoir tenté de conscientiser le monde dans lequel ils vivent journellement, ils s’attirent les foudres du système ségrégationniste pour le premier (Martin Luther King) et de l’entreprise coloniale pour le second (Patrice Emery Lumumba). À tour de rôle, ces deux figures de proue de la lutte pour les droits humains subissent durement le régime de privation de liberté (l’incarcération), les corvées et les humiliations de toutes sortes. Aussi connaissent-ils une fin tragique !
Ces deux leaders négro-africains, de surcroît Combattants de la liberté et apôtres de la justice, sont lâchement assassinés dans des conditions dont la transparence et l’ignominie n’ont vraiment d’égal que le cynisme et le silence funèbre des commanditaires. En effet, Patrice Emery Lumumba décède dans la tourmente de l’indépendance du Congo le 17 janvier 1961. Celle-ci est compromise par la double sécession de la Province minière du Katanga et de la Province autonome du Sud-Kasaï. Cependant, le Dr Martin Luther King meurt violemment à Memphis, dans l’État de Tennessee en 1968, dans la tourmente de la guerre injuste du Vietnam, dans le tourbillon des affrontements interraciaux, dans le tumulte des mouvements sociaux qui revendiquent pleinement la dignité humaine.
Ces deux contemporains étaient-ils liés par le même Destin ?
Il convient de mentionner que le leader congolais et panafricaniste est pratiquement mort à deux jours d’intervalle de l’anniversaire de naissance de l’Apôtre de la non-violence. En effet, Dr Martin Luther King est né le 15 janvier 1929 à Atlanta (Géorgie) tandis que Patrice Emery Lumumba a été assassiné le 17 janvier 1961 à Élisabethville (Lubumbashi). Comme si, par le jeu et le cycle de la naissance et de la mort, les deux se passaient le témoin pour continuer le combat universel pour la liberté, la paix et l’harmonie entre les êtres humains…
S'il était vivant, le Premier ministre panafricaniste et nationaliste congolais Patrice Emery Lumumba aurait eu, aujourd'hui, le 2 juillet 2017, 91 ans. Martin Luther King jr aurait, dans son cas, soufflé 88 bougies.