Le discours du capitaine Ibrahim Traoré à Saint-Pétersbourg
Quand le président de la Transition du FASO est le pourfendeur-fossoyeur de la FrançAfrique
S’agit-il du dernier clou planté dans le cercueil du néocolonialisme ?
‘‘L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère.’’ Capitaine Thomas Isidore Noël Sankara, ancien président du FASO
Par Joël Asher Lévy-Cohen
Les 27 et 28 juillet 2023, s’est tenu à Saint-Pétersbourg, l’ancienne capitale impériale de la Russie, sous la baguette du président Vladimir Vladimirovitch Putin, le sommet Russie-Afrique. Cette conférence qu’ont réellement tenté de saboter par tous les moyens les pays du bloc occidental par des menaces ‘‘perceptibles’’ à l’adresse de divers participants, avait primordialement pour objectif de raffermir la coopération dans tous les domaines entre l’Ours russe et les États africains renforcés pour la circonstance par la présence effective de 49 délégations de haut rang. Toutefois, sur le terrain doublement géopolitique et géostratégique, cette rencontre internationale au niveau le plus élevé avait pour objectif de fixer un cadre favorable à la définition d’un monde résolument multipolaire. Celui-ci a normalement pour effet immédiat de défendre coûte que coûte les intérêts primordiaux des pays fragiles, disposant d’une économie étroite, faisant l’expérience amère du ‘‘racket tyrannique’’ de la part des gangsters internationaux. C’est-à-dire : des ‘‘décideurs’’ de la tristement célèbre communauté internationale.
Au cours de cette réunion historique des chefs d’État et de gouvernement, le capitaine Ibrahim Traoré, du haut de ses 35 ans, a pris la parole – [protocole oblige] – en tant que président du Faso, le pays des ‘‘Hommes intègres’’. Au cours de sa brève intervention – d’une durée totale de 7 minutes – dont l’écho continue de résonner sur l’ensemble du continent africain, ce jeune dirigeant a exposé, non sans avoir préalablement remercié l’hôte du sommet[i], les maux rongeurs de l’Afrique contemporaine pourtant indépendante sur papier. Dans un silence de cathédrale, il a égrené un chapelet de reproches sous forme aussi bien de questionnements teintés de ‘‘maïeutique’’ que d’affirmations somme toute crues[ii]. À savoir : l’asservissement des dirigeants africains[iii], l’aliénation politique et diplomatique des États supposément indépendants et souverains[iv], la posture de la mendicité étatique, la souveraineté alimentaire, l’exil mortel de la jeunesse abandonnée à son triste sort, le bâillonnement de la population[v], l’écrasement de la dignité citoyenne, la strangulation de profondes aspirations populaires, l’absence manifeste des politiques de coopération internationale ou des mécanismes d’intégration régionale, le sabotage de l’intégrité physique de différents territoires africains par la pieuvre terroriste et la communauté internationale, la trahison de la solidarité interafricaine au profit exclusif de puissants intérêts exogènes et coloniaux[vi].
Sans s’appuyer sur un support papier ou document, ce discours du capitaine burkinabè qui n’est véritablement pas fait dans la dentelle, a bel et bien suscité un profond malaise[vii]. De manière quasiment inattendue, celui-ci a littéralement fait sortir de leurs gonds les ‘‘porte-parole attitrés de la FrançAfrique[viii]’’. Il convient d’admettre que ces porte-voix officiels du néocolonialisme archi-ravageur sont, d’ailleurs, réputés séquestrer l’avenir du continent africain[ix]. En réalité, ils sont des destructeurs patentés de tous les espoirs de la jeunesse africaine fort manifestement confrontée sur le terrain continental au chômage endémique, à la privation délibérée des structures éducatives et sanitaires[x], à l’exil oh ! Combien meurtrier, in fine à l’extrémisme idéologique ou la radicalisation religieuse vivement encouragée par des forces obscurantistes[xi].
Par ailleurs, pendant le déroulement du sommet à Saint-Pétersbourg, un putsch militaire à Niamey – capitale politique et administrative du Niger –, œuvre du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP)[xii], s’est auto-invité au menu de la conférence. Ce coup de force qui s’inscrit effectivement dans l’esprit d’autodétermination de jeunes et nouveaux dirigeants africains issus de l’univers militaire, est venu pratiquement doucher les espoirs de la vieille garde ‘‘françafricaine’’. Il y a lieu de remarquer qu’en cas avéré de déstabilisation par le truchement d’une révolution armée ou pression populaire, celle-ci est déjà habituée à l’interventionnisme militaire et diplomatique de l’ancienne puissance coloniale française, d’ailleurs, très favorable à bien des régimes honnis par leurs propres ressortissants.
Cette dernière est, faut-il relever, accablée de tous les maux qui rongent malheureusement le continent africain en termes de sous-développement matériel, de sous-progrès humain. Elle est accusée de confiscation de la souveraineté monétaire et économique par le biais de la devise Franc CFA. Aussi lui est-il reproché l’aliénation de l’indépendance politique des États africains par le truchement du maintien des régimes brutaux. En effet, en dépit du discours du sommet de la Baule de 1990 sur l’ouverture politique et la conditionnalité de l’aide franco-occidentale, Paris s’est toujours accommodé de divers pouvoirs africains essentiellement coupés de toute base ‘‘populaire’’. Pragmatisme diplomatique ou Intérêts économiques obligent, les autorités politiques et gouvernementales françaises, quels que soient, d’ailleurs, en vérité leurs bords politiques ou leurs positionnements idéologiques, ont toujours fermé leurs yeux sur les multiples exactions des systèmes politiques en cours dans la zone subsaharienne, et en très nette rupture de toute légitimité ‘‘démocratique[xiii]’’, etc.
S’il est majoritairement salué par la population locale et celle des pays environnants par solidarité interafricaine, il n’en reste pas moins que ce coup d’État militaire[xiv] provoque la mobilisation tous azimuts de diverses forces politiques et diplomatiques naturellement proches de Paris[xv]. Il importe de constater que tous ces puissants réseaux d’influence sont, certainement, perçus sur le continent africain comme des entités internationales qui refusent voire même freinent systématiquement toute émancipation de l’Afrique. Ceux-ci sont pratiquement vus comme de gigantesques appareils de contrainte qui étouffent son autonomie décisionnelle en vue de sauvegarder l’hégémonie occidentale ou la domination française en terre africaine. Il s’agit, bien sûr, des États membres de l’Union européenne (UE)[xvi], des pays adhérents de l’Union africaine (UA)[xvii] et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[xviii]. À la base, toutes ces organisations présentent cette particularité et cette singularité d’être substantiellement composées d’un personnel à la fois politique et administratif non élu par les populations locales ou non désigné par les peuples desdits États.
Une chose est sûre et certaine, le discours du capitaine Ibrahim Traoré, désormais qualifié de ‘‘Discours de Saint-Pétersbourg’’ en raison du fait qu’il trace les sillons idéologiques de la Nouvelle Afrique indépendante et souveraine, a révélé l’émergence d’une nouvelle élite dirigeante du Continent. Porté à bout de bras par la nouvelle génération de leaders politiques et militaires qui n’a point connu le mouvement historique de décolonisation ou qui a peu ou prou vécu la guerre froide dans ses moments les plus intenses, il ne fait point de concession, même hasardeuse, aux forces colonialistes et impérialistes. Cette nouvelle classe dirigeante n’est pas prête à sacrifier les intérêts supérieurs de la Nation en contrepartie de maigres avantages matériels ou en échange de la jouissance du pouvoir politique. Elle n’est pas du tout prête à transiger avec les anciennes puissances coloniales, à plus forte raison la France, pour leur garantir à vil prix une très large ouverture du vaste marché africain.
Ce fameux Discours de Saint-Pétersbourg a, au moins, révélé que cette jeune génération de leaders politiques et militaires agit en adéquation avec les principes idéologiques des pères fondateurs de l’Afrique libre, souveraine et indépendante. Elle vibre à l’unisson avec Thomas Isidore Noël Sankara, d’heureuse et pieuse mémoire. Au niveau de la société civile, elle partage pleinement les préoccupations des activistes panafricanistes Kemi Seba du Bénin (et de la France) et Nathalie Yamb du Cameroun (et de la Confédération helvétique).
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
www.joelasherlevycohen.centerblog.net
www.joelasherlevycohen.over-blog.net
www.joelasherlevycohen1.wordpress.com
https://www.youtube.com/watch?v=_ztLT-_gzww
https://www.youtube.com/watch?v=mxmTec7YyaQ
[i] Il a profité de cette occasion pour s’excuser préalablement auprès des chefs d’État africains, à plus forte raison aînés en âge et aussi prédécesseurs dans l’ordre d’arrivée au pouvoir, en raison de la violence du contenu de son discours susceptible de les froisser ou indisposer. En effet, son discours était littéralement cru, donc non dosé et non mesuré. Pour utiliser une expression consacrée par les circonstances, ‘‘il n’y est pas allé sur le dos de la cuillère’’.
[ii] Force est cependant de souligner que cette méthodologie discursive n’a point manqué de glacer l’enthousiasme ou de heurter la susceptibilité de quelques pairs du continent.
[iii] Le sens politique du mandat présidentiel d’un dirigeant africain.
[iv] La véritable place des États africains dans le concert des Nations.
[v] Le rôle de la population dans la consolidation de la démarche démocratique.
[vi] Absence de volonté de collaboration interafricaine ou de mutualisation des efforts entre partenaires stratégiques.
[vii] Au motif de faire respecter strictement l’ordre politique et l’idéal démocratique au sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, les dignitaires du Sénégal (Macky Sall), de la République du Congo-Brazzaville (Denis Sassou Nguesso) et de Comores (Azali Assoumani, président en exercice de l'Union africaine [UA]) ont carrément refusé de figurer sur la même photo que leurs pairs (le Malien Assimi Goïta et le Burkinabè Ibrahim Traoré) accusés d’être arrivés au pouvoir par la confiscation de la volonté populaire ou le piétinement du suffrage universel.
[viii] Sur un ton pathétique comme si des piques verbales lui étaient lancées, comme s’il était personnellement visé par le capitaine Ibrahim Traoré, le Sénégalais Macky Sall a répondu immédiatement au speech vitriolique du jeune président de la Transition du FASO. Chose totalement inédite car les Africains n’étalent pratiquement pas leurs divergences ou incompréhensions devant les caméras. Chose inédite que lui reprochent, d’ailleurs, bien des observateurs du landerneau politique africain dans la mesure où un aîné en Afrique fait toujours montre de hauteur morale, d’altitude mentale et de sagesse devant un cadet trop bouillant ou trop turbulent.
[ix] Le Sénégalais Macky Sall a très nettement fait pourrir l’ambiance politique et l’atmosphère nationale en raison de son obsession pathologique à se représenter coûte que coûte pour un troisième mandat présidentiel consécutif et à disqualifier électoralement l’opposant Ousmane Sonko par le biais d’une condamnation judiciaire. Il y a lieu de relever que cette personnalité politique souverainiste est très adulée pour son discours d’émancipation vis-à-vis de Paris par la jeune génération.
[x] Bref au confort matériel de la vie pratique.
[xi] Les jeunes africains des pays majoritairement musulmans sont aisément recrutés par des groupuscules terroristes dans le cadre du Djihad islamique.
[xii] La posture anticoloniale ou la vision antifrançaise de cet organe transitoire, a fortiori une direction de putschistes, est un secret de polichinelle.
[xiii] Allusion est faite aux fraudes électorales. On est concrètement loin de la fameuse ‘‘Déclaration de Bamako’’ du 3 novembre 2000 sur les pratiques de la démocratie, le respect des droits humains et des libertés fondamentales. Celle-ci assimile les bidouillages électoraux au putsch constitutionnel ou renversement des institutions politiques par l’ordre militaire.
[xiv] L’effet domino de ce pronunciamiento a véritablement pour source ou bougie d’allumage ‘‘Bamako’’, capitale du Mali actuellement dirigé par le colonel fraîchement quadragénaire Assimi Goïta. Cet officier militaire malien vilipendé par la France était présent à Saint-Pétersbourg.
[xv] La France n’interprète jamais la subversion de l’ordre politique et constitutionnel par des hommes en béret et treillis (kaki militaire) dans sa chasse-gardée africaine comme la volonté d’affranchissement des sujets africains des régimes corrompus et néocolonialistes que sont ses protégés. Elle interprète plutôt ce phénomène comme la subversion ou la dévastation armée. Elle l’interprète comme la manifestation déguisée de la Russie, d’ailleurs, fortement décidée par le truchement du mercenariat du groupe ou de la milice Wagner – devenu ‘‘le bras armé de Moscou’’ – à porter atteinte à ses intérêts vitaux et stratégiques dans ce continent.
[xvi] Cette organisation interétatique brandit sempiternellement l’épouvantail de la suppression de toute assistance extérieure.
[xvii] L’Union africaine (UA) qui est, par définition, une organisation de nature continentale, agite très souvent la menace d’exclusion à ses membres en proie à un coup d’État militaire.
[xviii] Par contre, la CEDEAO qui est une organisation de nature régionale, agite à son niveau la menace d’une intervention militaire en vue de déloger violemment les putschistes indélicats à ses yeux pour avoir subverti l’ordre autant politique et démocratique que légal et constitutionnel.