Le général Brice Clothaire Oligui Nguema est le nouvel homme fort de Libreville après avoir renversé militairement le régime dynastique d'Ali Bongo Ondimba. Celui-ci a régné 14 ans à la tête de ce pays d'Afrique centrale et équatoriale après avoir succédé à son père El Hadj Omar Bongo Ondimba. Sur la photo, le tombeur d'Ali Bongo Ondimba - un de ses cousins éloignés - salue le président français Emmanuel Macron.
Le président Ali Bongo Ondimba passe en revue les états-majors des forces de défense et de sécurité du Gabon. Il salue, à cette occasion, le général Brice Clothaire Oligui Nguema en tant que patron de la garde prétorienne du régime.
Coup d’État militaire au Gabon
‘‘Ali’’ s’en va, ‘‘Bongo’’ reste et la ‘‘FrançAfrique’’ sauve momentanément les meubles
Le Peuple gabonais s’est-il fait voler sa victoire politique et électorale ?
‘‘Le grand succès des ennemis de l’Afrique, c’est d’avoir corrompu les Africains eux-mêmes.’’ Frantz Fanon
Par Joël Asher Lévy-Cohen
Le Gabon, État pétrolier d’Afrique centrale et équatoriale, quadrillé par une base militaire de l’ex-puissance, ‘‘la France’’, a assisté à un putsch militaire pour le moins ‘‘controversé’’. Un putsch militaire qui laisse vraiment dubitatif plus d’un observateur de la vie politique africaine. Un putsch militaire qui laisse sans aucun doute pantois un citoyen lambda.
Force est de souligner que ce coup d’État militaire que personne ne sentait absolument pas venir, est perpétré par nul autre que le chef de la garde républicaine Brice Clothaire Oligui Nguema. Ce commandant en chef de la garde prétorienne a cette particularité et cette singularité de provenir directement du sérail familial des Bongo. Celui-ci est relié au président déchu Ali Bongo Ondimba par des liens de cousinage. Toutefois, avant même de devenir, non par accident, le très grand protecteur du dorénavant ex-chef de l’État, ce personnage militaire a occupé les fonctions ‘‘stratégiques’’ d’aide de camp de feu (Albert Bernard) El Hadj Omar Bongo Ondimba[i].
Il sied de relever que ce fameux putsch militaire, œuvre pratiquement inattendue de Brice Clothaire Oligui Nguema, intervient très rapidement aux lendemains de la proclamation des résultats d’une élection présidentielle électrique, d’un scrutin mouvementé. Ce coup d’État pour le moins inusité intervient aux lendemains d’une élection certes marquée par des fraudes massives. Orchestrées par le pouvoir en place afin d’assurer sa reconduction aux affaires dans le style d’une République héréditaire mais aussi d’un État politiquement verrouillé, celles-ci sont dénoncées dans les termes on ne peut plus durs par le challenger et candidat le plus en vue de l’opposition, le Pr Albert Ondo Ossa.
Pour assurer un changement de régime politique à Libreville, le Peuple gabonais avait-il vraiment besoin d’un coup d’État, [à plus forte raison militaire], à l’heure actuelle ?
La réponse est sans nul doute non. Et ce pour trois raisons fondamentales. La première est que le Peuple gabonais est, par nature et par définition, un peuple pacifique et modéré dans son tempérament. Et ce malgré quelques excès lui reconnus. Dieu seul sait combien il a physiquement et moralement enduré des putschs sur son sol territorial, tous d’ailleurs perpétrés par une et une seule famille : ‘‘celle fantasque des Bongo’’. Dans l’histoire nationale, cette litanie de pronunciamientos a toujours présenté une saveur tant politique et électorale que constitutionnelle et institutionnelle.
En dépit de toutes ces humiliations et de toutes ces subversions savamment orchestrées dans le dessein de maintenir coûte que coûte au pouvoir politique un régime ‘‘féodal’’ sur le plan intérieur et ‘‘vassal’’ sur le terrain international, le Peuple gabonais a toujours su privilégier dans l’optique de résoudre toutes crises politiques qui l’affectent sévèrement la voie noble de la ‘‘raison[ii]’’. En effet, celle-ci est de nature à faire l’économie du sang humain. Donc, par sa résilience proverbiale, cette communauté nationale a toujours su éviter la déflagration qui pourrait à terme conduire à l’éclatement de la société politique. Elle a toujours su éviter de manière sage et préventive la conflagration dont le corollaire immédiat est inévitablement et immanquablement la ‘‘disparition’’ pure et simple de la collectivité publique.
La deuxième raison fondamentale est qu’un coup d’État militaire n’est pas forcément et logiquement synonyme de ‘‘stabilité politique’’ et de ‘‘sécurité juridique’’. Un putsch n’est pas nécessairement synonyme de ‘‘justice sociale’’, de ‘‘progrès culturel’’ et de ‘‘prospérité économique’’[iii]. Lorsque, dans le pire des cas, il est évidemment accompagné de violence physique par nature débordante et immaîtrisable, ce phénomène peut être synonyme ‘‘de régression et d’instabilité permanente’’[iv]. Il peut être synonyme ‘‘d’insécurité politique et de disharmonie sociale’’. Il peut, donc, être synonyme de désintégration communautaire et de dislocation nationale. En réalité, tout ce raisonnement entraîne logiquement que le Peuple gabonais tend plutôt à privilégier en tout état de cause la stabilité et la permanence que le changement somme toute hasardeux associé à un bouleversement éventuellement contreproductif. En d’autres termes, cette communauté nationale a toujours misé sur ‘‘la prudence qui est mère de sûreté’’.
La troisième raison majeure est que l’élite politique, notamment celle directement issue de l’opposition pacifique et démocratique, a toujours placé sa pleine et entière confiance aux institutions judiciaires chargées de dire le droit et de rétablir la vérité des urnes[v]. Ces organes judiciaires pratiquement inféodés au pouvoir ont, toutefois, émis des décisions privilégiant le maintien du régime en place. Ces derniers ont, par conséquent, rendu des arrêts qui ne reflètent aucunement l’opinion publique nationale et qui ne correspondent nullement aux véritables tendances observées lors des échéances électorales.
Aussi cette classe politique a-t-elle toujours placé sa pleine et entière confiance au Peuple gabonais afin de résoudre les différends de nature politique. Cette pratique est courante depuis l’ouverture du jeu politique et l’institutionnalisation du pluralisme dans les années quatre-vingt-dix. Donc, cette classe politique dont l’ancrage est, à vrai dire, l’opposition, a toujours fait appel à la ‘‘composante populaire’’, à la ‘‘société civile’’ en vue d’arbitrer des conflits politiques et électoraux. Cette attitude pour le moins discutable en termes de stratégie est tout de même vérifiable depuis le règne présidentiel du patriarche [Albert Bernard] El Hadj Omar Bongo Ondimba. Cependant, le peuple gabonais qui est le souverain primaire, n’a vraiment jamais daigné s’assumer en tant que tel en raison de la relative stabilité économique et sociale du pays, d’une part[vi]. Et, d’autre part, en raison de la volte-face quelque peu spectaculaire des acteurs politiques plutôt tentés de rejoindre les rangs du gouvernement d’union nationale[vii].
Le putsch de Brice Clothaire Oligui Nguema est-il un coup d’État militaire ou un simple arrangement familial ?
Il ne fait aucun doute que la prise de pouvoir à Libreville par le commandant en chef de la garde prétorienne Brice Clothaire Oligui Nguema doit être interprétée comme un coup d’État militaire dans la mesure où celle-ci implique immédiatement l’armée en tant qu’institution de défense de l’État gabonais. Toutefois, contre qui ce putsch militaire est-il véritablement dirigé ? Est-ce contre le président sortant Ali Bongo Ondimba dans le but de mettre un terme à une République dynastique ? Est-ce contre le Pr Albert Ondo Ossa, véritable gagnant de la dernière présidentielle ? Est-ce contre le Peuple gabonais en tant que véritable souverain primaire et indiscutable légitimateur du pouvoir politique et démocratique ?
Chose sûre et certaine, l’objectif primordial de ce pronunciamiento est ‘‘l’annulation pure et simple du scrutin présidentiel’’ dont les résultats proclamés par le Centre national des Élections et devant être confirmés par la cour constitutionnelle attribuent très nettement la victoire au président sortant ‘‘Ali Bongo Ondimba’’. De ce fait, il s’agit sans conteste d’un coup d’État militaire contre le processus électoral qui donne au Peuple le pouvoir de choisir librement ses propres dirigeants. Dans ce cas très particulier et très singulier, il s’agit de la confiscation pure et simple de la souveraineté populaire des Gabonaises et Gabonais. Celle-ci s’est exprimée de manière on ne peut plus claire et on ne peut plus nette à travers les urnes et leurs suffrages.
En d’autres termes, ce putsch militaire est, en vérité, un hold-up électoral. En fait, il s’agit d’un acte relevant visiblement du braquage politique puisqu’il est de nature à accaparer le pouvoir dont le vrai propriétaire est incontestablement le Peuple gabonais. Cet acte est en soi une véritable arnaque des militaires vis-à-vis de l’opinion publique. En effet, les hommes en treillis et béret font accroire que leur acte subversif consiste plutôt à protéger inéluctablement l’État et la Nation contre toute tentative malveillante de sacrifier la paix et de compromettre violemment l’harmonie.
Cependant, cette soldatesque ne dit pas très ouvertement qui voulait absolument attenter à la paix, qui voulait vraiment compromettre l’harmonie et la concorde. À supposer même que ce comportement ‘‘apolitique’’ et ‘‘asocial’’ soit attribué voire reproché au Pr Albert Ondo Ossa[viii], toute la question est de savoir si ce dernier et ses partisans très déçus des résultats proclamés sont vraiment passés à l’acte pour justifier cette intervention contre-nature de l’armée. Cela est d’autant plus vrai qu’au Gabon, il existe bel et bien des forces policières formées pour contenir des foules en furie et des manifestants non armés[ix]. D’où cette sortie spectaculaire des forces de défense est sujette à caution….
Ce putsch militaire est manifestement dirigé contre le Pr Albert Ondo Ossa. Il importe de relever que sa campagne électorale a été, à bien des égards, l’occasion de mettre en lumière les relations incestueuses entre la famille régnante des Bongo et la France d’en-Haut. Cet opposant politique a également épinglé une présence française trop pesante sur les institutions politiques et économiques du Gabon. Par voie de conséquence, le discours peu diplomatique de cet acteur politique a évidemment fait peur à l’ancienne puissance coloniale.
En effet, la France a fini par être convaincue que cet universitaire proche du peuple ne pouvait littéralement garantir ses intérêts stratégiques en Afrique centrale et équatoriale. Entre autres ‘‘le maintien permanent de sa base militaire au Gabon’’. D’ailleurs, conservant pleinement et entièrement ses vieux réflexes d’exploiteur, de colonisateur et de négrier, Paris ne veut absolument pas perdre le Gabon en tant que bras financier de la ‘‘FrançAfrique’’. Surtout après avoir subi une série de revers significatifs enregistrés en Afrique de l’Ouest, le France ne veut plus donner l’impression d’abdiquer en Afrique, de se faire dépasser sur ce continent qui demeure jusqu’à preuve du contraire sa vache à lait.
Ce putsch militaire est, évidemment, un coup d’État contre le Peuple gabonais. Cet acte de Brice Clothaire Oligui Nguema, en tant que chef de la garde républicaine, vient museler à jamais la souveraineté populaire. Il vient dire aux Gabonaises et Gabonais qu’il ne leur appartient aucunement de désigner un chef de l’État censé incarner leurs aspirations fondamentales. En réalité, il vient leur dire qu’il ne leur appartient nullement de choisir librement, donc démocratiquement[x], les animateurs des institutions nationales, à plus forte raison leurs représentants légitimes.
Ce qui est clair, Paris est indubitablement le principal instigateur de ce putsch militaire[xi]. En effet, la France ne peut absolument pas supporter à la tête de l’État gabonais la présence d’un régime totalement souverain et indépendant s’appuyant substantiellement sur des piliers populaires, et ce à l’image de Laurent Gbagbo en Côte-d’Ivoire ou de Jean-Bertrand Aristide en Haïti. Pour maquiller ce coup d’État militaire qui est moins une ‘‘révolution de palais’’ qu’une ‘‘révolution de famille’’ et, par voie de conséquence, lui conférer les traits du changement, d’ailleurs, hypothétique, on prend soin de choisir un putschiste au nom mythique de ‘‘Nguema’’, en l’occurrence le chef de la garde prétorienne. En effet, le nom de Nguema rappelle incessamment en Afrique et, comme par enchantement, dans la sous-région de l’Afrique centrale le coup d’État ‘‘violent’’ et ‘‘meurtrier’’ du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo[xii].
Cette personnalité politique africaine de premier plan, qui trône depuis quarante-quatre ans à la tête de la Guinée Équatoriale, avait militairement renversé son oncle Francisco Macias Nguema au cours d’un coup d’État somme toute sanglant. Ensuite, celle-ci a fait exécuter sauvagement cet infortuné. Et, depuis l’avènement politico-militaire du régime de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, ce pays d’Afrique centrale a manifestement connu un essor fulgurant, des avancées significatives. Il est effectivement parmi les pays les plus développés du continent en termes d’infrastructures matérielles et de politiques sociales.
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
www.joelasherlevycohen.centerblog.net
https://www.youtube.com/watch?v=QBnjqQ5QkEc
https://www.youtube.com/watch?v=xcSF3W3rTog
https://www.youtube.com/watch?v=xcSF3W3rTog
[i] Le père adoptif d’Ali Bongo Ondimba. À en croire, certaines indiscrétions, ce dernier serait plutôt originaire de l’État sécessionniste du Biafra (Nigeria), bastion de l’ethnie Igbo.
[ii] Dans ce contexte, il s’agit plutôt des moyens purement politiques : ‘‘négociations’’, ‘‘pression populaire’’, ‘‘marches pacifiques’’.
[iii] Les trois cas emblématiques en Afrique demeurent sans aucun doute les régimes libyen de Muʿammar al-Qaḏāfy ou Abū Minyar Muʿammar ʿAbd al-Salām al-Qaḏhdhafî, burkinabè de Thomas Isidore Noël Sankara et ghanéen de Jeremiah Rawlings John (Jerry Rawlings). Leurs coups d’État, par définition des actes de subversion militaire tout comme d’insubordination politique et constitutionnelle, ont manifestement apporté sur le terrain stabilité, sécurité et progrès.
[iv] Les régimes verrouillés de Blaise Compaoré au Burkina Faso et de Yayah Jammeh en Gambie.
[v] Paul Mba Abessolo et Pierre Maboundou ont participé à des scrutins présidentiels entachés de fraudes massives qu’ils n’ont pas en leur temps hésité à dénoncer avec véhémence. À l’issue de toutes ces élections bidouillées par le régime de Libreville protégé par l’ancienne puissance coloniale, la France, la cour constitutionnelle a toujours déclaré vainqueur le tenant du pouvoir sortant, en l’occurrence El Hadj Omar Bongo Ondimba. Force est de souligner que le slogan oh ! Combien évocateur de ce patriarche politique en matière électorale fut : ‘‘ on n’organise pas des élections pour les perdre !’’. Il en est de même sous la gouvernance d’Ali Bongo Ondimba. En effet, la cour constitutionnelle a, [en tant que juge électoral de dernier recours], appliqué au candidat de l’opposition (Jean Ping) la même recette judiciaire annihilant ainsi tous ses espoirs de victoire électorale au cours d’un scrutin tripatouillé à dessein. Dans le cas du Pr Albert Ondo Ossa, c’est plutôt l’institution chargée d’organiser les scrutins nationaux, en l’occurrence le Centre (Conseil) gabonais des Élections (CEG), qui a proclamé Ali Bongo Ondimba vainqueur de la présidentielle.
[vi] La multiplication des candidats au scrutin présidentiel explique aisément cette molesse et cette absence d’adhésion populaire à la lutte des opposants victimes de fraude électorale par la famille Bongo.
[vii] Il s’agit de l’ex-prêtre Paul Mba Abessolo, ancien maire de Libreville.
[viii] Cette personnalité politique est en dehors de tout doute raisonnable le véritable vainqueur de la présidentielle. Il sied de mentionner que celle-ci avait menacé de prendre toutes les dispositions pour faire quitter le pouvoir son concurrent tripatouilleur.
[ix] Les résultats de la présidentielle ont été publiés par le Conseil gabonais des Élections au milieu de la nuit à 3 heures du matin. Et à 5 heures du matin, et pendant que le peuple gabonais sommeille encore, les putschistes sortis de nulle part annoncent la mise au rancart du régime ultra-compradorisé d’Ali Bongo Ondimba. Du même souffle, ils plébiscitent le général Brice Clothaire Oligui Nguema en tant que nouvel homme fort de Libreville. Entre-temps, aucune scène de manifestation populaire ou de mécontentement dans le sens de casse n’était visiblement enregistré…
[x] La voie des urnes démocratiques, par voie de suffrages exprimés électoralement et politiquement.
[xi] Ce point de vue est largement partagé par l’ancien président de la commission de l’Union africaine (UA), le Gabonais Jean Ping. Celui-ci voit dans ce coup d’État militaire la main ténébreuse de la France. Selon cette personnalité qui fait également partie du cercle familial des Bongo, Paris avait naturellement proposé à son beau-frère Ali Bongo Ondimba de participer à une agression militaire contre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Devant son refus catégorique, Paris a fini par choisir un pantin qui pouvait machinalement exécuter ses volontés mesquines.
[xii] À la très grande différence de son homonyme équato-guinéen et, dorénavant, pair présidentiel, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo qui a éliminé son oncle paternel qu’il considérait comme son cousin éloigné, le Gabonais Brice Clothaire Oligui Nguema a, pour l’instant, épargné la vie physique de son cousin Ali Bongo Ondimba.