Faut-il ‘‘liquider’’ et ‘‘partitionner’’ la République démocratique du Congo ?
Par Joël Asher Lévy-Cohen*
Le jeudi 30 juin 1960, la République démocratique du Congo sise au cœur de l’Afrique et de la région des Grands Lacs africains accédait, non sans optimisme béat, au concert des Nations souveraines et indépendantes. D’ailleurs, à cette époque de la décolonisation du Tiers-Monde, ce nouvel État suscitait espoir et émulation, de par son rayonnement et ses richesses incommensurables. Très vite, ce jeune pays a toutefois déchanté en raison de l’immaturité de sa classe dirigeante et de l’irresponsabilité de son élite intellectuelle, de l’analphabétisme de sa population et de la résignation de maints esprits éclairés.
Conséquence effective de cette démission généralisée, la République démocratique du Congo est manifestement placée sous tutelle par la Communauté occidentale. Elle marque, à n’en point douter, le pas dans bien des domaines névralgiques. Au regard de ses immenses ressources, celle-ci affiche fort visiblement des indices de développement inexplicables, à plus forte raison indéfendables. Aussi affiche-t-elle, de manière tout autant inattendue qu'inexplicable, un taux de précarité socioéconomique pour l’ensemble de sa population saignée à blanc. Force est de reconnaître que ce tableau certes peu reluisant – [cette fiche de renseignements] – ne peut que susciter logiquement l’indignation des Esprits Éclairés et la révolte des Bonnes Consciences.
Par voie de conséquence, à l’aube des festivités marquant le cinquante-septième anniversaire de sa souveraineté internationale et de son indépendance nationale, il convient de se poser très froidement la question de savoir si ce pays majestueux et richissime est, à vrai dire, un État viable. Il importe, en effet, de se poser la question de savoir si ce pays est en principe capable d’assumer, de façon responsable, son destin politique dans la mesure où ses autorités politiques et gouvernementales sont, en réalité, des valets des puissances étrangères et non point le véritable reflet de la souveraineté populaire. Aussi y a-t-il lieu de se poser très fermement la question de savoir si cet Etat dont la superficie est équivalente à celle de l'Union européenne, est à même d’assurer un avenir somme toute respectable et louable à l'ensemble de ses ressortissants pour la simple et bonne raison qu’il existe, naturellement, une distorsion entre l’abondance de ses richesses matérielles et la condition infrahumaine de sa population.
Il y a, certes, lieu de se poser cette question essentielle pour la simple et bonne raison que les sujets de la République démocratique du Congo n’ont pas, à vrai dire, le statut de Citoyen. En l'occurrence, il faut entendre par Citoyen une personne qui évolue dans un espace politique et démocratique et, de ce fait, jouit pratiquement, pleinement des droits humains fondamentaux. il s'agit d'un individu qui bénéficie des libertés publiques reconnues. Celles-ci ont pour effet de favoriser l'éclosion de sa personnalité et de son identité en tant qu'être humain, donc être vivant, sujet des droits. Il y a, surtout, lieu de se poser cette question primordiale d'autant plus que les Congolais dans leur ensemble continuent, plus que jamais, à se battre contre leurs autorités gouvernementales, leurs dirigeants politiques et administratifs en vue de se libérer de leurs turpitudes et s’émanciper coûte que coûte de leurs visions archaïques et destructrices pour la Collectivité publique.
Ce qui est clair, dans sa configuration actuelle, la République démocratique du Congo doit être complètement liquidée à l’instar d’une entreprise indubitablement tombée en faillite. En effet, ce pays a très lamentablement échoué dans sa vocation politique d’État à assurer fermement son intégrité territoriale. Il s’avère pratiquement incapable d’exercer toute son autorité politique et administrative sur l’ensemble du territoire national dont des portions importantes, de larges pans sont réellement sous la coupe des seigneurs de guerre ou forces négatives agissant en toute impunité et même avec la complicité des puissances extérieures.
Ce qui est sûr et certain, la République démocratique du Congo doit être, sans autre forme de procès, liquidée pour n’avoir pas véritablement su apporter et assurer un développement harmonieux à ses pans régionaux. En effet, aucune province n’a connu en cinquante-sept ans d’existence politique et, par voie de conséquence, d’indépendance nationale une expansion économique et sociale digne de ce nom. Alors, aucune n’a vraiment su se développer à partir de ses propres richesses potentielles ou ressources réelles. Celles-ci sont plutôt sur le terrain national l’objet systématique de bradage meurtrier et de pillage léopoldien. À cet effet, un seul mot, c’est-à-dire une seule et unique réalité, résume fort bien le sort de toutes provinces congolaises : ‘‘l’hémorragie’’ ou la saignée. D’aucuns diraient la léthargie ou l’immobilisme.
Ce qui est absolument sûr, la République démocratique du Congo doit être liquidée dans sa forme actuelle pour n’avoir pas su procurer à l’ensemble de sa population la sécurité et le confort dont elle a, en réalité, nécessairement besoin pour s’épanouir en tant qu’être humain. Celle-ci n’a pas du tout su profiter de l’exploitation des richesses matérielles de son pays dans la mesure où elle vit constamment dans des conditions infrahumaines. En effet, le peuple congolais est dépourvu voire délibérément privé de toute protection sociale lui permettant de se prendre en charge, donc d’assurer pratiquement ses besoins élémentaires, ainsi que sa vie quotidienne.
Face à un tel pays postindépendant, qui n’est État que de nom, dont la notion politique de Nation relève sans conteste d’une vue de l’esprit, dont les autorités politiques, gouvernementales et administratives ne s’assument point en tant que telles, n’y a-t-il pas lieu de le partitionner en plusieurs entités dont la cohérence culturelle permettrait sans doute à ses bénéficiaires de vivre dignement ? Face à ce mastodonte, à ce colosse aux pieds d’argile incapable de se réguler et d’assurer son avenir politique, n’y a-t-il pas lieu de le démembrer en maints États fondés essentiellement sur les affinités ethniques et culturelles, par conséquent régionales ? À cet égard, chaque entité provinciale directement issue de la réforme politique et administrative de février 1962 pourrait, en fait, constituer un État à part entière.
À ce propos, il est un fait que la balkanisation territoriale suscite, à n’en pas douter, beaucoup de passion et beaucoup de réactions épidermiques de la part des Congolaises et Congolais. Toutefois, la véritable réalité est que la République démocratique du Congo n’est pas, par essence une entreprise viable et fiable. D’où la nécessité d’une refondation ou d’un remaniement. Cette recomposition pourrait-elle prendre la forme d’un fédéralisme de type conféré ? Ce serait absolument l’idéal.
Cependant, il faut admettre que dans l’imaginaire congolais qui dérive sans nul doute de la propagande lumumbiste, le fédéralisme renvoie automatiquement et systématiquement à l’entreprise sécessionniste. D’où la difficulté d’asseoir un tel modèle typologique. En réalité, cette assertion est absolument fausse dans la mesure où les mêmes porte-voix du lumumbisme historique et hérauts du nationalisme congolais ont, à leur tour, participé à la balkanisation du pays en créant artificiellement sur l’étendue géographique de la Province orientale, la fameuse République populaire du Congo dont la capitale politique et administrative fut Stanleyville , aujourd'hui Kisangani, avec pour chef de l’État Christophe Gbenye et Premier ministre Antoine Gizenga Fundji. Force est de mentionner que cet État factice a duré en tout et pour tout trois ans, à savoir de 1961 à 1964.
Dans cette hypothèse de refondation de l’État congolais, ne faudrait-il pas réellement essayer autre chose, beaucoup plus consistante ? Ce qui permettra à chaque peuple vivant sur le sol du territoire congolais de s’assumer pleinement et de prendre toutes ses responsabilités face à son propre destin. Sur ce point, tout le monde est d’avis que l’urgence s’impose indubitablement. Balkanisation ou Confédération ? Une telle initiative ou perspective politique permettrait sûrement aux Ne Kongo, Lubas, Katangais, etc., qui sont d'ailleurs les premiers concernés, de mieux progresser, de mieux s’épanouir, dans la mesure où ils se sentent à l’étroit. Ces peuples se sentent terriblement étouffés voire même écrasés par une République démocratique du Congo unitaire et fortement centralisée. Cet État virtuel est réputé ne pas les traiter pas dignement, justement ou équitablement.
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant