Liberté et Démocratie
Deux mots magiques au contenu creux et élastique
Deux concepts à géométrie variable
Par Joël Asher Lévy-Cohen
Afin de se donner pratiquement une bonne conscience et, par voie de conséquence, présenter une image parfaite, sans souillure, il n’est pas du tout rare d’entendre une personne morale, tout comme physique, se référer à la liberté et à la démocratie. Elle se conforme le plus souvent à cette demarche promotionnelle, à cette stratégie de marketing pour se déterminer.
Toutefois, que peuvent bien évidemment signifier ces deux termes dont la magie élève normalement les revendicateurs acharnés aux cimes les plus élevées de la civilisation et au faîte de l’humanisme ? Que veulent-ils dire encore ces deux mots dans le contexte d’une humanité ambiante qui cherche vainement ses repères ? Dans la vie concrète, étendent-ils réellement les horizons et les perspectives d’un individu ? Ou restreignent-ils son cadre d’action et d’épanouissement ? Ces deux termes sont-ils, à vrai dire, antinomiques ou complémentaires ?
La liberté est, certes, le fait d’échapper à toute pesanteur qui limite l’épanouissement d’un individu. C’est le fait de vivre sans pour autant être assujetti à un système de contrainte, fût-il moral ou spirituel, tout comme matériel et intellectuel. Est considérée libre toute personne qui émerge ou progresse dans un tel environnement. Cela vaut assurément pour la personne aussi bien morale que physique.
La démocratie est, d'entrée de jeu, un système d'organisation politique et sociale qui postule le partage du pouvoir entre différents acteurs en vue de protéger les intérêts de chaque pan de la Collectivité. Quelle que soit leur pertinence, ceux-ci sont souventes fois contradictoires et diamétralement opposés. Dans ce régime politique de répartition du pouvoir, la démocratie est en principe le fait de reconnaître les droits et les libertés à un individu ou groupe d'individus.
En d’autres termes, la démocratie organisationnelle postule, plus que la tolérance, le respect de l’individu. Elle commande, en vérité, la considération de son vis-à-vis. Cette attitude est nécessaire à toute harmonisation des rapports sociaux. Ce qui revient à dire que la démocratie contribue, inéluctablement, au renforcement de la paix et à l’ancrage de la sécurité. Donc, elle contribue fermement à l’enracinement de la justice en tant que pouvoir social et de l’équité en tant que principe et finalité sociale. Elle participe de la reconnaissance et de la consolidation de la dignité liée à la nature humaine, inhérente à l’intégrité de sa vie et de son espèce.
Ainsi définis, ces deux mots sont, indubitablement, liés à l’expansion de l’individu. Ils sont liés à son essor en tant qu’être humain et, surtout, sujet des droits fondamentaux. Ils sont généralement sensés protéger la personne humaine lorsque celle-ci subit, sans autre forme de procès, les actes de son prochain qui doit déterminer l’étendue de son pouvoir. C'est-à-dire : l'étendue de son espace d’action.
Mais, qu’en est-il lorsque le bénéficiaire du système de protection ou du parapluie que sont la liberté ou la démocratie prend l’initiative d’agir ? Dans la mesure où tous ses actes ou toutes ses actions affectent sensiblement ses pairs, la liberté et la démocratie lui imposent-elles des limites ? En d'autres termes, la liberté et la démocratie peuvent-elles, par définition, être contraignantes ?
Sans pour autant être complètement permissives, la liberté et la démocratie en tant que système social et politique n’interdisent pas du tout à l’être humain d’agir, tout comme de prendre des initiatives personnelles. Par contre, elles lui demandent d’assumer tous ses actes ou toutes ses actions. En d’autres termes, celui-ci est totalement libre d’agir. Cependant, il a très certainement l’obligation morale et juridique d’assumer pleinement les conséquences heureuses ou malheureuses de tous ses gestes posés dans la société ou accomplis dans son environnement immédiat en vue de satisfaire tous ses intérêts, ses besoins voire ses phantasmes ou lubies.
Donc, la liberté et la démocratie en tant que système politique et social n’interviennent pas en amont. Elles interviennent, simplement, en aval dans l'optique souveraine de rétablir l’ordre public et la sécurité, tant individuelle que collective. Elles interviennent normalement lorsque l’équité ou la justice censée protéger la personne humaine, à plus forte raison, la dignité, sont complètement atteintes ou rompues. Dans ce cas, leur rôle consiste à rétablir l’équilibre et l’harmonie.
En d’autres termes, la liberté et la démocratie en qualité de système font sensiblement appel à cette notion morale de conscience ou citoyenne de responsabilité dans le but de circonscrire davantage l’étendue du pouvoir politique ou de restreindre socialement l’espace d’action de l’individu. Par conséquent, il appartient à l’être humain en tant que sujet des droits reconnus et membre d’une communauté de limiter la portée réelle de ses actes personnels ou gestes propres pour ne pas affecter négativement la vie de ses pairs. Dans le cas contraire, il peut devenir source de nuisance. D’autant plus que ses initiatives personnelles relèveraient, à n’en pas douter, de la dangerosité. D’autant plus que son comportement individuel constituerait, littéralement, une source de nocivité sociale.
Toutefois, de nos jours, la liberté et la démocratie qui déterminent résolument la nature des relations sociales, dépendent logiquement et forcément de la compréhension qu’a, en réalité, chacun dans la société. Celles-ci dépendent littéralement de l’interprétation accordée par chaque individu. Pour leur évocation, elles dépendent systématiquement et automatiquement du type de rapport de force qui règne immanquablement dans la collectivité publique.
Ainsi, la liberté et la démocratie peuvent être suffisamment encadrées et enfermées dans des balises dans le but d’éviter des débordements excessifs ou des atteintes fort dommageables au patrimoine de l’individu ou à l’harmonie sociale. Cette tendance est très souvent observable dans la culture latine. Tout comme elles ne peuvent pas être assujetties à un carcan. Dans ce cas, il est catégoriquement laissé aux membres du groupe la possibilité voire l’initiative de s’organiser individuellement ou collectivement.
Cette tendance est plutôt remarquable dans la culture anglo-saxonne. Ceci sous-entend que l’interprétation de ces deux termes dépend logiquement et forcément de l’espace et de l’époque. Celle-ci dépend, donc, du contexte spatial et historique. Par conséquent, ils n’ont pas toujours le même contenu. Ces deux mots connaissent, plutôt, une acception évolutive relativement au temps et à l’environnement.
En effet, la définition de ces deux concepts diffère selon les aires et les ères. D'ailleurs, si l’on se réfère strictement au 16e siècle, période à laquelle apparaît soudainement le phénomène démocratique consubstantiel à l’État en tant que système d’organisation, la démocratie signifie séparation des trois pouvoirs organiques de l’État. À savoir : le parlement qui représente les Citoyens et les communes dont le rôle est d’adopter la loi de la Nation, l’Exécutif qui représente l’État et exécute la loi de la Nation adoptée par le parlement, la Justice qui applique sereinement et souverainement la loi de la Nation pour assurer la paix sociale, l’harmonie collective et la sécurité des Citoyens.
La liberté, quant à elle, est restrictive, en plus d’être octroyée. Celle-ci émane tout droit de Dieu. Un concept en principe véhiculé par la religion monothéiste. Aussi émane-t-elle du monarque qui est son représentant légitime ou lieutenant.
À l’aube des révolutions sociales et techniques du 18e siècle qui ouvrent très largement les perspectives économiques de la société et sociales des individus, la liberté permet à tout individu de s’affranchir du poids de la divinité considérée lointaine et théorique. Elle lui permet, également, de s’émanciper du roi absolutiste perçu par la population comme un pouvoir oppresseur en devenant simplement un sujet de l’État. Aussi est-elle définie objectivement et contenue dans un catalogue de lois. Ce faisant, la démocratie en tant que jeu politique et institutionnel tend à diminuer sensiblement les pouvoirs du souverain au profit du peuple représenté au Parlement par ses délégués.
Au 19e siècle, la liberté n’est plus simplement un concept rattaché à l’essence même de l’individu[i]. Elle est étendue à toutes ses activités économiques et sociales[ii]. Par contre, la démocratie signifie la république ou le progrès. Elle est définie par opposition à la monarchie ou le conservatisme. Le roi devient, plutôt, une institution symbolique qui incarne la Nation. S’il est maintenu dans ses fonctions, le souverain ‘‘règne mais ne gouverne pas’’. Ainsi, la monarchie devient constitutionnelle.
C’est pratiquement au 20e siècle que la liberté et la démocratie en tant que systèmes et concepts connaissent une altération de leur contenu et de leur acception jusqu’au point de devenir pratiquement des synonymes. En effet, si la démocratie se détermine en réalité par rapport à la désignation des gouvernants ou dirigeants et de la configuration de l’espace politique[iii], la liberté se réduit systématiquement et automatiquement à l’octroi des droits sociaux[iv], à l’accès à des biens de consommation et au confort de la vie[v]. Aussi se réduit-elle à la liberté de presse[vi]. Cela est d’autant plus vrai que la démocratie a nettement pris, aujourd’hui, la connotation de la liberté au niveau du pluralisme en matière de choix auquel est nécessairement confronté le citoyen dans son environnement immédiat ou dans la collectivité publique[vii].
Sur le plan de la diplomatie internationale, la liberté et la démocratie sont effectivement des concepts ou des systèmes à ''géométrie variable''. Autant elles sont appliquées voire reconnues tout particulièrement et tout singulièrement aux citoyens ressortissants des États occidentaux. Autant celles-ci sont catégoriquement refusées aux citoyens et aux pays du Tiers-Monde.
Cette négation de la liberté et de la démocratie aux non-occidentaux se justifie pour des raisons de domination aussi bien politique et militaire que d’hégémonie culturelle et économique. D’autant plus que la plupart des régimes dictatoriaux en vigueur dans cet espace géographique sont entièrement parrainés et financés par des gouvernements occidentaux. Il importe de mentionner que ces systèmes tyranniques chapeautés par des pères UBU agissent très souvent pour le compte de l'Occident en tant qu’appareil de contrainte répressive, outil d'oppression de leurs propres peuples.
Par ailleurs, cette atteinte à la liberté et cette extinction de la démocratie sont en réalité liées au contexte culturel desdits États. Le plus souvent influencé par la religion ou la spiritualité. Cela est d’autant plus vrai que la tradition primordiale, y compris la morale ambiante dans ces pays, privilégie catégoriquement la collectivité que l’individu. Elles rejettent du revers de la main la notion sportive de compétition. Celles-ci inhibent tout esprit de concurrence et de dépassement dans le but de générer une société fondée sur la productivité et la performance. C'est-à-dire : Un environnement essentiellement axé sur l’innovation et l’amélioration des conditions de vie.
[i] Les libertés de parole, de pensée, d’opinion, de réunion, de circulation et de manifestation.
[ii] La liberté de production, la liberté de circulation des biens et des personnes, la liberté de l’enseignement.
[iii] Le pluralisme politique et idéologique.
[iv] La protection sociale (la pension de la retraite, l’assurance maladie, l’assurance médicament), les avantages sociaux (les vacances payées), les bouses d’études, l’accès à des biens de consommation, etc.
[v] L’accès au logement, au transport, à l’emploi, à la justice, etc.
[vi] L’accès à la communication et à l’information.
[vii] Le citoyen est perçu un consommateur de biens politiques (l’idéologie), économiques (les produits et services en vertu de la concurrence) et médiatiques (l’information plurale et diversifiée).