Maître Azarias Ruberwa Manywa, Ministre de la Décentralisation et des Réformes institutionnelles de la RDC, est un Tutsi munyamulenge.
Les déplacés tutsis banyamulenges victimes d'affrontements intercommunautaires entre Autochtones du Kivu et populations allogènes.
Les populations tutsies et hutues rwandophones établies dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) sont-elles congolaises ?
Que dit-elle expressément la législation sur la nationalité congolaise ?
De l’intoxication mentale à la propagande mensongère et haineuse
‘‘Si le fanatisme nous révolte, ce n'est pas seulement parce qu'il révolte la raison, c'est parce qu'il offense Dieu en lui prêtant les plus viles passions des hommes : La haine et la vengeance.’’ Constance de Théis in Les pensées diverses, 1835.
Par Joël Asher Lévy-Cohen *
Depuis un certain moment, a librement cours sur les réseaux sociaux un débat très malsain. Celui-ci concerne principalement et touche directement la place qu’occupent réellement les Banyamulenges dans la Nation congolaise. Ceux-ci sont, en vérité, des populations ‘‘tutsies’’ rwandophones. Force est de mentionner que ce débat dont l’acuité n’a véritablement d’égal que les viles passions qu’il soulève, d’ailleurs ardemment, est sournoisement téléguidé par les fossoyeurs de la République démocratique du Congo. Dans quel but ?
Les Tutsis banyamulenges en provenance du Rwanda limitrophe vivent pratiquement, et ce depuis la troisième décennie du XXe siècle, dans l’Est de la République démocratique du Congo, plus précisément dans les régions montagneuses du Kivu. En effet, cette population tutsie rwandophone y a été casée par une décision politique et administrative de l’autorité coloniale belge en vue d’échapper à la famine qui avait très durement frappé la région des Grands Lacs africains. À cette époque, celle-ci n’a pas pu complètement épargner le Rwanda lourdement ravagé par une sécheresse implacable. Et, cette catastrophe naturelle décimait, littéralement, tout le bétail dont vivent ordinairement et pratiquement les Tutsis.
C’est de cette relocalisation montagneuse que les populations tutsies vivant en République démocratique du Congo tirent, sans contredit, leur appellation de ‘‘Banyamulenge’’. Donc, cette résidence montagneuse constitue sociologiquement, en plus d’être physiquement leur domiciliation, leur identité ethnique ou leur personnalité. À titre de rappel historique, ce nom par lequel sont désignées ces populations tutsies rwandophones, signifie en fait voire même se traduit de la manière suivante : ‘‘des gens habitant le mont Mulenge ou des peuples originaires de la montagne Mulenge’’. Donc, le mont Mulenge est, par définition, leur port d’attache en République démocratique du Congo[i].
Cependant, toutes ces populations tutsies rwandophones ont migré par vagues successives avant ou après l’indépendance vers la République démocratique du Congo. Il y a lieu de noter que ces différents mouvements migratoires en direction de ce pays d’Afrique centrale ont eu pour corollaire immédiat le net accroissement physique de leur démographie. Mais avec la fin de la colonisation belge et l’effondrement systématique et automatique de l’État postcolonial et de son administration publique sous le régime mobutiste, les réfugiés tutsis en provenance directe du Rwanda limitrophe ont pu bénéficier sans trop de difficultés de la nationalité congolaise. Cette démarche a été rendue possible par la politique d’assimilation obligatoire des masses tribalo-ethniques locales et des communautés étrangères pratiquée tant bien que mal par le pouvoir despotique du Maréchal Mobutu Sese Seko du Zaïre.
Il ne fait pratiquement aucun doute que le milieu naturel des Hutus et des Tutsis est soit le Rwanda soit le Burundi. Comme l’affirment précisément des sources historiques, c’est dans ces deux pays limitrophes de la République démocratique du Congo qu’ont été clairement identifiés et tout à fait répertoriés ces deux groupes humains, d’ailleurs aux morphologies contrastées. Leurs activités sociales les différencient totalement, en plus de les opposer.
En effet, les Tutsis sont reconnus présenter des traits physiques fins. Ils sont longilignes. Au niveau social, ils s’astreignent à des activités pastorales. Quant à eux, les Hutus présentent, normalement, des traits physiques prononcés. En tant qu’êtres humains, ils se caractérisent par leur taille moyenne et s’adonnent à des travaux agricoles. Comme quoi les pasteurs et les agriculteurs ne font pas toujours bon ménage…
Toutefois, pourquoi émerge-t-elle aujourd’hui, si subitement et si brutalement pourrait-on dire, la dénégation de la qualité nationale aux populations tutsies rwandophones par des Congolais de souche dont les ethnies et tribus sont répertoriées dès le début de l’entreprise léopoldienne dans cet espace géographique dénommé État indépendant du Congo (EIC) ?
La goutte qui a littéralement fait déborder le vase, est assurément le conflit foncier. Celui-ci oppose brutalement les Autochtones aux Allophones, d’une part. Et, d’autre part, la guerre de prédation meurtrière qui sévit virulemment dans l’Est de la République démocratique du Congo. Celle-ci a déjà fauché au bas mot plus de 12 millions d’individus. Ce qui est en soi pratiquement l’équivalent de la taille de la population haïtienne ou belge. Ces deux conflits meurtriers, dont l’un de type civil et l’autre de nature armée, ont rapidement fait remonter en surface tout sentiment latent de répulsion étrangère.
Au nom de ce rejet, les Congolaises et Congolais, indubitablement excédés par les dégâts humains et les désastres naturels, visiblement provoqués par ces deux types de ‘‘conflits’’ meurtriers, ne reconnaissent pratiquement plus aux populations tutsies rwandophones la qualité d’appartenance à la très grande famille congolaise. Il y a lieu de rappeler que cette reconnaissance est, par nature et par excellence, formelle. Celle-ci dérive tout droit de la loi de l’État en matière de naturalisation réservée aux ressortissants étrangers.
À ce propos, il convient de citer ‘‘l’ordonnance-loi N0 71 – 020 du 26 mars 1971 relative à l’acquisition de la nationalité par les personnes originaires du Ruanda-Urundi établies au Congo au 30 juin 1960’’. Ce décret signé par le Maréchal Mobutu Sese Seko du Zaïre, dont l’enjeu primordial est l’attribution de la nationalité à des groupes ou masses d’individus, est en réalité l’un des tout premiers textes de loi qui citent nommément les populations tutsies rwandophones comme des membres à part entière de la communauté nationale congolaise.
Cependant, la fameuse constitution de Luluabourg du 1er août 1964 demeure le tout premier texte qui fait une mention implicite de toutes ces personnes originaires du Ruanda-Urundi. Cette charte fondamentale ne les cite pas nommément mais les exclue automatiquement de la nation congolaise en déterminant les conditions de jouissance de celle-ci. Dans son article 6 alinéa 2, cette deuxième constitution de la Ie république déclare sans ambages que ‘‘la nationalité congolaise est reconnue à toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu officiellement établie sur le sol du territoire de la République démocratique du Congo avant le 18 octobre 1908[ii]’’.
Un deuxième texte de loi qui fixe les contours de la nationalité congolaise et détermine les conditions de son obtention est le décret-loi du 18 septembre 1965[iii] signé par le président de la République Joseph Kasa-Vubu. Pris conformément à la constitution de Luluabourg du 1er août 1964, celui-ci est contresigné par le premier ministre Moïse Kapenda Tshombe et le ministre de la justice Victor Nendaka Bika. En outre, l’enjeu majeur de cette disposition est bien entendu la définition de la nationalité congolaise par rapport au lien sanguin (jus sanguinis) et non à la territorialité (jus solis ou le droit du sol).
En raison de ses nombreuses restrictions, ce dispositif légal contribue fort aisément à la discrimination négative entre les Congolaises et Congolais de souche selon qu’ils sont ou pas mariés à une personne étrangère au regard de la loi nationale. De plus, il exclue facilement les enfants nés à l’intérieur tout comme à l’extérieur du Congo d’un des parents étrangers. Quoi que d’essence discriminatoire, cette disposition en matière de nationalité ne fait point explicitement ou implicitement mention de ou allusion à toutes personnes d’expression rwandaise et originaires du Ruanda-Urundi. Elle les ignore carrément. Ce qui intéresse ce décret-loi, est concrètement le lien de sang (jus sanguinis) afin de prétendre appartenir à la nation congolaise. Point barre[iv]. Par ailleurs, le mode privilégié d’acquisition de la nationalité est, sans pour autant le mentionner de manière expresse, la démarche individuelle.
S’agissant de la vie de l’ordonnance-loi N0 71 – 020 du 26 mars 1971 relative à l’acquisition de la nationalité par les personnes originaires du Ruanda-Urundi établies au Congo au 30 juin 1960, ce texte est aboli neuf mois plus tard. Dans la foulée, il est remplacé par un autre dispositif légal. À son tour, celui-ci réglemente la procédure de naturalisation des personnes étrangères. Il s’agit de la loi N0 72 – 005 du 05 janvier 1972 qui détermine, certainement, les conditions d’obtention et de révocation de la nationalité congolaise. Toutefois, [en son article 15], cette nouvelle disposition législative maintient, de manière claire et nette, limpide et expresse, le mode d’octroi collectif de la nationalité.
Dans sa formulation, cet article précise de la manière la plus limpide et la plus nette que ‘‘la nationalité zaïroise est reconnue à des personnes originaires du Ruanda-Urundi établies dans la province du Kivu avant le 1er janvier 1950 et qui ont continué à y vivre jusqu’à l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi du 5 janvier 1972. Tous ces individus sont, par voie de conséquence, réputés congolais à la date d’obtention de l’indépendance de la République démocratique du Congo. C’est-à-dire : le 30 juin 1960’’.
Cette loi sur la nationalité congolaise adoptée et promulguée en 1972 pose, en réalité, deux conditions nécessaires et suffisantes (il s'agit en fait des conditions sine qua non). Celles-ci sont applicables aux ressortissants rwandais et burundais pour qu’ils puissent revendiquer le statut de Congolais (Zaïrois). Toutes ces personnes doivent être réellement établies en République démocratique du Congo avant le 1er janvier 1950, d’une part. Et, d’autre part, tous ces individus doivent avoir continuellement vécu dans ce pays jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi. C’est-à-dire : 1972.
Dès que les deux conditions relatives à la date d’établissement (avant le 1er janvier 1950) et à la permanence ou la durée d’établissement sur le sol du territoire congolais (le 5 janvier 1972) sont dûment remplies, ces individus doivent être définitivement regardés comme des nationaux. La loi précise, dans ce cas unique, que ‘‘toutes ces personnes sont des nationaux congolais à compter du jeudi 30 juin 1960’’.
À ce niveau, il faut bien souligner que l’abolition d’une disposition législative n’emporte pas nécessairement, logiquement et forcément l’ensemble de ses effets, notamment en matière d’attribution des droits et de jouissance des droits acquis. Encore faut-il qu’elle le spécifie de manière très claire et très nette. En effet, bon nombre de Congolais, d’ailleurs bien intentionnés, laissent accroire que la loi du 5 janvier 1972, puisqu’elle déclare noir sur blanc en son article 47 que ‘‘le fameux décret-loi du 26 mars 1971 qui pose le principe d’attribution collective de la nationalité congolaise est nul et non avenu’’, emporte la totalité de ses effets juridiques, y compris les droits acquis dont bénéficient exclusivement les Tutsis.
Pourtant, la lecture du libellé de ce dispositif ne le dit point expressément. Elle ne le laisse pas non plus entendre de manière tout à fait implicite. C’est précisément à ce niveau que gît la plus grande supercherie. À vrai dire, il s’agit là d’un acte d’escroquerie intellectuelle. En effet, ‘‘celles et ceux qui soutiennent mordicus cette thèse selon laquelle les populations tutsies rwandophones ne sont point des sujets nationaux de la République démocratique du Congo, versent purement et simplement dans la désinformation mensongère. Elles versent carrément dans la démagogie pour la simple et bonne raison que la loi du 5 janvier 1972 ne l’a jamais dit ni spécifié de quelque manière que ce soit’’.
Le maquillage ‘‘forcé’’ de la vérité sur l’appartenance nationale des Tutsis banyamulenges dont sont réellement passés maîtres les tenants de la dénégation, ne s’arrête nullement à la loi précitée. Cette technique de camouflage et d’obstruction (de torsion) de la vérité somme toute délibérée qui prend, toute honte bue, les allures d’arnaque intellectuelle, s’applique aussi à l’évocation, à titre d’argumentaire de poids, de la loi N0 1981 – 002 du 29 juin 1981 sur l’acquisition de la nationalité zaïroise d’ailleurs promulguée par le Maréchal-président Mobutu Sese Seko du Zaïre.
L’enjeu primordial de ce dispositif légal est la suppression du mode d’acquisition collective de la nationalité zaïroise qui prévalait certes à cette époque. Ainsi, à compter de cette date fatidique (le 29 juin 1981), la loi congolaise ne reconnaît plus que la démarche individuelle en matière de procédure d’acquisition (Section III, paragraphe I, article 9, alinéa 2). Donc, cette norme législative évacue, désormais, l’attribution collective (Exposé des motifs). Sauf dans le cas particulier et singulier d’annexion ou d’adjonction territoriale, le principe d’octroi collectif demeure éminemment concevable voire applicable. Par ailleurs, cette disposition législative prend, tout à fait, soin de rejeter de manière explicite (article 11) le principe de la binationalité ou la règle de la plurinationalité.
Quid alors de la situation juridique des Tutsis banyamulenges après la lecture de cette loi N0 1981 – 002 du 29 juin 1981 ?
À sa lecture, il est un fait établi que cette disposition légale fixe de manière globale un cadre de référence pour l’appréciation administrative en matière d’octroi de la nationalité. À cet égard, elle précise toutes les conditions de jouissance de cette nationalité tout en détaillant la procédure d’acquisition. Cependant, si elle rejette expressément le principe d’attribution collective, celle-ci reste fort muette sur la situation des populations tutsies rwandophones. Force est d’admettre que celles-ci ont été reconnues congolaises par deux textes de loi quoi que abolis (ordonnance-loi N0 1971 – 020 du 26 mars 1971 signée par le président de la République Mobutu et loi N0 1972 – 002 du 5 janvier 1972 adoptée par le parlement du MPR ou parti unique, promulguée par le chef de l’État et publiée dans la gazette officielle).
Il convient de remarquer que ces deux dispositifs légaux abolis évoquent de façon explicite cette ‘‘communauté’’ en qualité de partie intégrante de la Nation congolaise. À cet égard, les deux textes de loi parlent très clairement et très nettement de ce groupe humain en termes de ‘‘populations originaires du Ruanda-Urundi’’. Ce qui n’est pratiquement voire forcément pas le cas de la fameuse loi de 1981. Ce texte sur la nationalité demeure fort silencieux voire même flou sur cette question épineuse des Tutsis vivant dans l’Est du pays. Il n’y répond pas. En son article 9, il se contente simplement d’affirmer une règle : ‘‘le principe d’acquisition individuelle’’. Et, en son article 54, il déclare ‘‘nulles et de nul effet les dispositions contraires à cette loi’’ qui abroge définitivement la loi N0 1972 – 002 du 5 janvier 1972.
En effet, cette disposition législative ne fait pratiquement aucune mention expresse de ce groupe ou de cette communauté. Elle ne fait pratiquement aucune référence voire aucune allusion directe à ces populations du Ruanda-Urundi reçues sur le sol du territoire congolais. Par contre, l’interprétation de l’article 4 incite à penser que cette disposition législative de 1981 vise et cible directement cette communauté dès lors qu’elle fixe comme condition d’appartenance à la nation zaïroise la preuve de lien objectif avec un individu étant ou ayant été membre d’une des tribus établies dans l’ex-Zaïre dans ses limites du 1er août 1885.
En d’autres termes, ce texte légal met particulièrement et singulièrement l’accent sur la territorialité. Celle-ci doit nécessairement remonter aux sources profondes de l’édification de l’État indépendant du Congo (EIC) pour prétendre appartenir à la nation congolaise. Sans cette condition sine qua non, un individu ne pourrait ou ne saurait être regardé comme un sujet congolais à part entière. Or, à cette époque, convient-il de rappeler, les Tutsis sont identifiés et répertoriés au Rwanda et au Burundi qui sont des possessions coloniales allemandes. Ils ne vivent pas encore en République démocratique du Congo. Ils ne s’y sont pas encore établis comme une entité tribale ou ethnique voire étrangère placée sous la coupe de la Belgique.
À cet égard, l’article 4 de la loi N0 1981 – 002 du 29 juin 1981 dispose : ‘‘Est zaïrois aux termes de l'article 11 de la Constitution, à la date du 30 juin 1960, toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d'une des tribus établies sur le territoire de la République du Zaïre dans ses limites du 1er août 1885, telles que modifiées par les conventions subséquentes’’. C’est, en principe, le libellé de cette disposition législative qui a fait conclure précipitamment que les Tutsis établis dans l’ex-Zaïre devenu République démocratique du Congolais et jouissant de la nationalité congolaise n’étaient pratiquement plus des Congolais. Cette interprétation est également renforcée par l’énoncé de l’article 54 qui déclare : ‘‘Toute disposition antérieure contraire à l'article 9 de la présente loi est nulle et de nul effet’’.
Dans l’hypothèse où ces personnes d’ascendance ou d’origine rwandaise n’étaient plus des Congolais, comment expliquer que leurs notables politiques continuaient à siéger dans les instances décisionnelles du MPR en tant que Parti-État ou parti unique mobutiste ? Comment expliquer que la plupart de ces individus détenaient toujours le passeport zaïrois ? Comment expliquer que la plupart de ces personnes travaillaient toujours en tant que fonctionnaires publics de l’État zaïrois ou membres des forces armées ?
Il est un fait indéniable que dans son esprit ou dans sa démarche, le conflit foncier opposant les Autochtones du Kivu aux Allogènes rwandophones a servi de catalyseur ou de détonateur à la confection de cette loi N0 1981 – 002 du 29 juin 1981. Toutefois, en dépit de son silence, d’ailleurs fort lourd, sur la situation évidente des populations tutsies rwandophones, doit-on inférer ou interpréter [par défaut] que ce dispositif légal retire sans autre forme de procès à toutes ces personnes la nationalité congolaise[v] ?
En vérité, il y a un pas qu’un esprit sain ne peut franchir sur cette question fondamentale et épineuse. Car, au regard du droit en tant que science et pratique, puisque par essence, le droit répond résolument à la double notion de justice et d’équité, le bon sens commande le strict respect du principe et de la notion angulaire de ‘‘droits acquis’’. En effet, la nationalité congolaise a été formellement reconnue aux populations tutsies rwandophones par l’État, et ce à deux reprises. S’il y avait indiscutablement volonté de leur ôter cette nationalité, l’État congolais se devait plutôt de l’exprimer expressément tout en prenant bien soin d’exposer objectivement les motifs dans le but d’éviter qu’une décision d’une telle portée juridique soit attaquable devant les juridictions internationales compétentes.
Cet exercice juridique s’est littéralement révélé le cadet des soucis exprimés par le régime despotique mobutiste. Ce pouvoir évidemment obscurantiste a complètement abandonné sa propre population dans la nébulosité. Visiblement embarquée dans le tourbillon des conflits fonciers entre Autochtones et Allophones au Grand Kivu, celle-ci a conclu péremptoirement, de manière totalement ‘‘fantaisiste’’ et ‘‘erronée’’, pourquoi pas ‘‘délibérée’’ et ‘‘arbitraire’’, que la fameuse loi du 29 juin 1981 abolissant le principe d’octroi collectif ôtait du même souffle à toutes personnes tutsies rwandophones la nationalité congolaise. Quelle aberration ! Quel impair ! Quelle impéritie ! Quel sacrilège !
En effet, une loi en tant que norme de droit qui régit une société donnée, obéit à un certain nombre de principes dont la règle cardinale de non-rétroactivité. C’est-à-dire : Une loi ne régit que les faits qui surviennent après son édiction effective. Par contre, il est des cas où, consciemment ou inconsciemment, une loi décide de régenter quelques situations qui se sont produites avant sa réelle mise en vigueur. Alors, dans cette hypothèse unique, le droit distingue deux régimes d’application de la loi pour éviter le désordre provoqué par la loi dans la mesure où la loi est censée apporter dans l’environnement où elle sévit, ordre et sécurité, paix et harmonie. Il s’agit de l’application générale de la loi qui revient sur toutes les circonstances de temps et de lieu ou de l’application restreinte de la loi qui revient sur une circonstance ponctuelle ou partielle.
Or, à la lecture de la fameuse loi N0 002 du 29 juin 1981, il y a un point fondamental qui prouve en dehors de tout doute raisonnable que la volonté du législateur zaïrois n’était pas de retirer la nationalité à toute la communauté tutsie du Zaïre. C’est la formule légale ou juridique utilisée à l’article article 55 concernant les effets de cette loi pour lui donner force et vigueur.
Section X, article 55 : La présente loi abroge la loi N0 1972 – 002 du 5 janvier 1972 et sort ses effets à la date de sa promulgation. Celle-ci est signée par Mobutu le 19 juin 1981 et publiée au Moniteur (journal officiel) le 29 juin 1981.
Cela signifie concrètement que cette loi régit les situations à venir. Pour ce qui est des Tutsis qui ont naturellement bénéficié de l’acquisition collective avant cette date de promulgation, il y a présomption et prévalence du principe général de droits acquis. Par conséquent, celles et ceux de cette communauté rwandaise qui atterrissent sur le sol du territoire zaïrois après cette date, ne pourraient nullement s’en prévaloir.
[i] Le terme ‘‘Banyamulenge au pluriel’’ ou ‘‘Munyamulenge au singulier’’ désigne restrictivement parlant des Tutsis du Rwanda et du Burundi vivant en République démocratique du Congo dans le secteur montagneux de Mulenge situé au Sud-Kivu. Toutefois, dans le langage populaire ou langage commun, il est facilement étendu à toute personne d’ascendance ou d’origine tutsie vivant dans l’Est du pays, notamment dans le grand Kivu (Sud-Kivu, Nord-Kivu et dans une moindre mesure Maniema). Ce terme ne s’applique pas objectivement aux Hemas de la province de l’Ituri. Cette population tutsie rwandophone conserve, en réalité, une personnalité ou une identité propre en raison de sa situation on ne peut plus particulière et on ne peut plus singulière. Les Bahema sont des réfugiés tutsis qui vivaient dans des tentes offertes par les Nations unies. D’où l’appellation de Hema qui signifie en jargon local (langue swahili) ‘‘tente’’. C’est-à-dire : ''des gens ou des populations qui vivent sous des tentes''. Ils sont, ainsi, définis par opposition aux familles ou aux individus de cette région de la forêt équatoriale, lesquels vivent dans des ''cases'', ont un toit et vivent dans une maison fabriquée en dur ou faite en terre cuite. Au Nord-Kivu, les Tutsis sont communément appelés ‘‘Banyamasisi’’. Ceux-ci sont concentrés à Goma, Masisi et Rutshuru. Au sud-Kivu, les Tutsis sont désignés Banyamulenge. Ils vivent généralement dans les zones de Kalehe, Baraka et Uvira. Il existe également une communauté tutsie qui vit dans la province du Tanganyika, notamment autour de la ville de Moba. D’autres communautés tutsies vivent dans le grand Katanga, entre autres à Likasi. Pour la plupart, elles y sont installées à la faveur de l’exploitation minière après la 2e guerre mondiale (1940 – 1945) par l’autorité coloniale. Les Tutsis du Katanga n’ont pas d’identité particulière comme le sont réellement ceux du grand Kivu et de l’Ituri. Ils sont généralement désignés par les autochtones par le terme générique de ‘‘Banyaruanda’’. Ce qui atteste, du point de vue linguistique, de leur origine ethnique ou de leur provenance géographique. Par ailleurs, les textes officiels de la RDC parlent légalement de la population tutsie établie sur le sol de son territoire en termes de ‘‘Tutsis congolais d’expression rwandophone’’. À vrai dire, cette terminologie remonte juridiquement à Sun City, station balnéaire sud-africaine qui a été certes l’hôte des pourparlers politiques intercongolais en 2002 – 2003.
[ii] La référence est ici le passage politique et administratif de l’État indépendant du Congo au Congo-Belge. À cette époque précise, les Tutsis sont plutôt réputés résider au Ruanda-Urundi qui est encore une possession allemande. Le Ruanda-Urundi deviendra une possession belge à la suite du traité de Versailles du 18 juin 1919. Cette convention dépossède l’Allemagne de toutes ses colonies en Afrique comme conséquence de sa défaite lors de la première guerre mondiale de 1914 à 1918. C’est ainsi que le Togo et le Cameroun passent aux mains de la France, la Tanzanie aux mains de la Grande-Bretagne. C’est à partir de l’année 1923 que les premiers peuples pasteurs tutsis du Ruanda sont transférés en République démocratique du Congo par l’autorité coloniale belge à la suite d’une hécatombe humanitaire consécutive à une virulente sécheresse.
[iii] Ce décret-loi a été inspiré par le ministre de la justice Victor Nendaka Bika.
[iv] Ce décret-loi visait-il, sans pour autant les nommer objectivement ou les cibler directement, les enfants mulâtres et métis issus immédiatement de mariages mixtes ? Visait-il réellement des sujets nationaux portés à épouser des conjoints étrangers, dont principalement les femmes occidentales ? En effet, dans le contexte houleux et dramatique de l’indépendance proclamée par le roi des Belges Baudoin 1er le jeudi 30 juin 1961, les mulâtres et les métis étaient perçus par les négroïdes comme des relais de l’entreprise coloniale…
[v] Selon la règle de l’équité et le principe de justice, la loi N0 1981 – 002 du 29 juin 1981, pour manifester sa pleine et entière volonté de déposséder de la nationalité zaïroise les personnes des communautés tutsies, se devait de citer nommément ces originaires du Ruanda-Urundi comme l’ont manifestement accompli le décret-loi N0 1971 – 020 du 26 mars 1971 et la loi N0 1972 – 002 du 5 janvier 1972. Ces deux textes de loi n’ont pas été littéralement ambigus ou flous dans leur énoncé ou l’affirmation de leur volonté de reconnaître la nationalité congolaise aux individus précités. Donc, en demeurant évidemment silencieux et visiblement flou, pratiquement ambigu, cela signifie clairement et nettement que le législateur zaïrois n’avait pas du tout la volonté d’ôter cette nationalité aux Tutsis. Cela veut dire tout simplement qu’il n’avait pas surtout et à ce point précis la volonté manifeste de s’engager ouvertement sur cette question brûlante ou de répondre aux desiderata des populations autochtones. En refusant de s’engager clairement, ouvertement, ou en laissant à l’opinion publique interne mal outillée en droit le soin d’interpréter cette disposition législative, craignait-il déjà le spectre d’une guerre civile atroce dans cette région de l’Est ?
Et, jusqu’à preuve du contraire, l’État congolais sous la présidence de feu Mobutu Sese Seko du Zaïre n’a jamais officiellement sommé les Tutsis de retourner au Rwanda ou de quitter le territoire de la République démocratique du Congo. Son pouvoir tyrannique n’a jamais non plus organisé une vaste politique de chasse aux sorcières ciblant plus spécifiquement cette communauté ethniquement apparentée au Rwanda. Qu’il y ait eu des conflits fonciers, il n’y a aucun doute là-dessus. D’ailleurs, de tels cas pouvaient bien trouver un règlement pacifique devant les tribunaux zaïrois. Au moins, les décisions judiciaires qui auraient pu y émaner directement, aurait normalement servi de phare lumineux ou d’éclairage jurisprudentiel sur lequel l’opinion publique interne généralement guidée par des passions et des émotions à fleur de peau, y compris les autorités publiques légalement établies, pouvait s’appuyer. Que Nenni.
Cependant, conclure péremptoirement que le régime zaïrois animé par Mobutu Sese Seko a délibérément privé de nationalité zaïroise les Tutsis originaires du Rwanda voisin à cause de conflits fonciers les impliquant directement relève, sans contredit, purement et simplement d’une véritable machination. Une supercherie de mauvais goût. Il s’agit véritablement d’un pur phantasme. C’est, certes, une légende moins juridique que populaire.
Par ailleurs, les partisans de la thèse de privation ou les tenants de la thèse de dénégation brandissent publiquement comme argument qu’il n’existe nulle part ailleurs dans le monde le principe ou la pratique d’octroi collectif de la nationalité. À celles et ceux qui nourrissent de telles supputations ou qui versent dans telles élucubrations, il faudrait leur rappeler cette fois-ci avec force que la procédure de naturalisation ou l’attribution de la nationalité peut être collective. Elle n’est toujours pas qu’un fait individuel.
À titre d’exemple, la France qui est aussi la patrie des droits de l’Homme, a déjà conféré la nationalité française à une communauté humaine vivant par extension ou prolongement de son territoire naturel qu’est l’Hexagone. En effet, sous la IIIe République française, le décret d’Adolphe Crémieux du 24 octobre 1870 reconnaît formellement l’appartenance à la nation aux Juifs d’Afrique du Nord, en l’occurrence les Juifs établis en Algérie française, qualifiés pour la circonstance de ‘‘populations israélites indigènes’’.
Par conséquent, une telle conception d’octroi de la nationalité uniquement valable sur le plan individuel est vraiment une pure et simple invention des Congolaises et des Congolais. Elle traduit forcément et logiquement leur état d’esprit. Dans le fond, elle traduit le sentiment de ‘‘rejet’’ et de ‘‘haine’’ nourri viscéralement à l’égard de la communauté tutsie rwandaise.
Pour clore ce chapitre malheureux qui ne cesse de déployer passions et émotions, haine et violence de toutes sortes, de provoquer frustrations et reniements, il convient de déclarer la vérité rien que la vérité à l’ensemble des Congolaises et Congolais. Que cela leur plaise ou non ! Ce peuple d’Afrique centrale, certes enraciné dans la région des Grands Lacs africains, doit comprendre que ‘‘les Tutsis banyamulenges sont des Congolais à part entière’’. Il doit se rendre compte à l’évidence de cette vérité leur cachée depuis des lustres par leurs propres dirigeants gouvernementaux et leurs propres leaders politiques.
En effet, la guerre de pillage et d’occupation déclenchée par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) a donné lieu à la signature du protocole d’accords de cessez-le- feu de Lusaka des 10, 30, 31 juillet et 31 août 1999. Cette convention entre factions belligérantes ou parties protagonistes présentait un enjeu multiple. À savoir : l’évacuation de tout motif de nature extérieure ou de toute prétention à caractère international dans ce conflit violent et meurtrier; la réduction étroite de ce conflit armé à des causes purement et simplement endogènes ou des considérations strictement internes : ce qui en fait systématiquement et automatiquement une guerre civile interne entre différentes factions armées congolaises; la reconnaissance formelle des Tutsis banyamulenges comme une composante intégrante de la nation congolaise; la partition territoriale de la République démocratique du Congo entre trois entités bien distinctes (le Nord au Mouvement de libération du Congo [MLC], l’Est au Rassemblement congolais pour la démocratie [RCD], l’Ouest aux mains du gouvernement de Kinshasa); et, enfin, la mise en place d’un cadre de négociations politiques intercongolaises en vue d’aboutir à la réunification territoriale du pays et des institutions gouvernementales, administratives et politiques.
Le protocole d’accords de cessez-le feu de Lusaka de 1999 a été signé non seulement par les Congolais mais également par de différents pays directement impliqués dans ce conflit armé et plus que meurtrier. À savoir : le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe et la République démocratique du Congo. Y compris la Zambie à titre de témoin. Initié par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la défunte Organisation de l’Union africaine (OUA), ce protocole déclare que la ‘‘nationalité congolaise est reconnue à toute communauté établie sur le sol territorial de la République démocratique du Congo au moment de la proclamation de son indépendance par la Belgique le jeudi 30 juin 1960’’.
À ce propos, l’article III relatif aux principes de l’accord susmentionné dispose au point 16 : ‘‘Les Parties réaffirment que tous les groupes ethniques ou nationalités dont les personnes et les territoires constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République démocratique du Congo [RDC]) à l’indépendance doivent bénéficier de l’égalité des droits et de la protection que la loi garantit aux Citoyens’’.
Force est de constater que l’article 10 de la Constitution du 18 février 2006 pose réellement le principe d’acquisition individuelle. Toutefois, cette charte fondamentale conserve l’esprit et la lettre qui découlent directement du protocole d’accords de cessez-le-feu de Lusaka de 1999. Aussi intègre-t-elle dans son fondement les préoccupations des pourparlers politiques intercongolais de Sun City et de Pretoria (Afrique du Sud) de 2002 – 2003.
À cet effet, son alinéa 2 dispose : ‘‘Est congolais d’origine toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République démocratique du Congo) à l’indépendance’’.
Les choses étant on ne peut plus claires dorénavant, il appartient plus particulièrement et plus singulièrement au Peuple congolais de digérer coûte que coûte cette réalité considérée de son strict point de vue comme offensante ou vexatoire. D’ailleurs, un proverbe africain dit dans ce genre de circonstances ou pour ce genre d’occasions : ‘‘Quand le vin est tiré, il faut le boire’’ ! Mais, faut-il nécessairement le consommer à n’importe quel prix ? Y compris celui de sacrifier son destin, la paix et la sécurité de sa collectivité publique ?
Sun City et Pretoria (le processus de négociations politiques intercongolaises en Afrique du Sud) ont fourni, à cet égard, toutes les réponses possibles et inimaginables, à la limite idoines puisque adaptées aux circonstances du moment…
À bon entendeur salut !
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
www.joelasherlevycohen-over-blog.com
Sources :
- http://citizenshiprightsafrica.org/wp-content/uploads/2016/07/DRC-Decret-loi-18-sept-1965-loi-organique-nationalite-congolaise.pdf
- https://irb-cisr.gc.ca/fr/renseignements-pays/rdi/Pages/index.aspx?doc=449820
- https://www.droitcongolais.info/files/1.04.-Constitution-du-1er-aout-1964.pdf
- https://www.refworld.org/docid/3ae6b5b4c.html
- https://www.leganet.cd/Legislation/JO/2011/JOS.05.02.2011.pdf
- https://www.refworld.org/docid/3ae6b4e022.htm