Avant d'accéder à la primature de la République d'Haïti, Me Jean-Henri Céant exerçait les fonctions de Notaire à Port-au-Prince. Il était très actif dans les domaines social et humanitaire. Il était également très impliqué dans des cercles de réflexion sur l'avenir de son pays. Il est connu pour avoir établi des ponts entre la Diaspora et ses compatriotes de l'intérieur.
Haïti
Depuis de nombreuses années, Haïti qui a arraché dans la bravoure son indépendance de la France le 1er janvier 1804, est réellement devenu un non-État et, surtout, une zone de non-droit. En effet, ce minuscule pays de la Caraïbe ne dispose pratiquement plus d’institutions légitimes qui personnalisent autant la puissance publique de l’État que le pouvoir politique de la Nation. Et, depuis le lâche assassinat du président Jovenel Moïse par un commando multinational, Haïti est manifestement dirigé par le Premier ministre de facto Ariel Henry. Situation complètement inédite : ‘‘il n’existe concrètement plus d’organes de l’État dont les animateurs patentés, à plus forte raison Représentants de la Nation ou Délégués du Peuple, sont indubitablement choisis par leurs pairs au travers d’un processus électoral juste et digne, sain et crédible’’. Ce qui a naturellement pour corollaire immédiat un État sans pouvoir et sans adhésion populaire, un Peuple sans droit et sans liberté. Comble de tout : ‘‘un Peuple sans souveraineté et sans voix au chapitre international’’.
Face à l’absence évidente de l’État dont le leitmotiv est la sécurité et de leadership fort au sommet du pouvoir politique et gouvernemental, Haïti s’est complètement métamorphosé en zone de non-droit. En effet, le pays assiste fort impuissant à la vague de kidnappings qui paralysent l’économie et empoisonne la vie sociale. Il s’agit localement d’un véritable cancer qui gangrène chaque coin et recoin de ce petit État de la Caraïbe. Comble de malheur pour son ‘‘vaillant’’ et ‘‘valeureux’’ Peuple acculé dans ses derniers retranchements, ce phénomène préjudiciable à la vie socioculturelle et la santé économique est, d’ailleurs, devenu une source de revenus fort lucratifs pour des bandes armées très souvent encadrées par d’anciens membres des forces de sécurité publique, également entretenues et parrainées par des puissances occultes.
Le poignard dans le dos de Me Jean-Henri Céant
La félonie est-elle un sport ‘‘politique’’ et un art ‘‘diplomatique’’ ?
‘‘Ce n’est pas l’injustice en soi qui nous blesse, c’est d’en être l’objet.’’
Pierre Nicole, théologien français (1625 -1695)
Par Joël Asher Lévy-Cohen
Avant de s’investir complètement dans la vie politique haïtienne qui est, par définition, un marigot infesté de crocodiles dotés de crocs redoutables, Me Jean-Henri Céant est un notaire qui a manifestement pignon sur rue à Port-au-Prince. Cette profession sans doute au cœur de la société lui permet d’être en permanence au service de ses Concitoyennes et Concitoyens. En raison de la fréquence élevée des contacts personnels qu’il tisse, elle lui permet sûrement de prendre le pouls de la collectivité haïtienne. Elle lui permet, surtout, de prendre la mesure des problèmes qui se posent crûment au sein de l’environnement national. C’est-à-dire : ‘‘De sérieuses difficultés qui accablent journellement l’immense majorité de ses compatriotes’’.
C’est de cette manière que ce professionnel du droit notarial se forge par le truchement de ses activités quotidiennes une véritable conscience ‘‘humaniste’’. Celle-ci l’incite à mettre l’être haïtien, [par nature son concitoyen, avec qui il partage de toute évidence le même espace géographique], au centre de ses préoccupations légitimes. Elle l’incite à partager les mêmes espérances nationales, les mêmes aspirations humaines.
Cette conscience est, d’abord et avant tout, ‘‘citoyenne’’. En effet, celle-ci pousse Me Jean-Henri Céant à devenir un acteur incontournable de la société civile. Par conséquent, elle le pousse à s’ériger très rapidement en ‘‘défenseur’’ certifié des laissés pour compte de la collectivité haïtienne. Elle est, ensuite, politique. En effet, Me Jean-Henri Céant découvre que la politique, au-delà de ses exigences majeures en tant que service public et national, peut être un levier de changement. Cela est d’autant plus vrai qu’il est question, dans ce domaine unique et si particulier, de répondre avec courage, abnégation et conviction aux préoccupations fondamentales de l’ensemble de ses Concitoyennes et Concitoyens.
À partir de cette conviction au cœur de ses réflexions personnelles, Me Jean-Henri Céant décide de se lancer en politique en vue de servir au sens le plus noble du terme l’ensemble de ses pairs. Ainsi, fort de son ancrage dans la société au travers des réseaux de solidarité et des plates-formes animées par l’intelligentsia haïtienne, il participe au scrutin présidentiel de 2010, de 2015 et 2016. Cette triple opportunité électorale lui permet de se faire un nom dans le landerneau politique national. Aussi lui permet-elle de se façonner une réputation d’homme de consensus ou d’homme de paix. Cette renommée est tout à fait déterminante pour la suite de sa carrière politique au niveau national.
En effet, face à la crise multiforme dont pâtit cruellement Haïti, la Perle des Antilles, et ce depuis des lustres, le destin national n’a pas d’autre choix que de faire rapidement appel aux talents de conciliateur, de pacificateur et d’unificateur de Me Jean-Henri Céant. Pour l’occasion, cette personnalité fort consensuelle est nommée ‘‘Premier ministre’’ du pays par le président en exercice Jovenel Moïse. Avec pour ferme mandat de calmer une grogne populaire sûrement explosive, qui plus est fort nocive pour la cohésion nationale et fort menaçante pour la stabilité politico-institutionnelle.
Il importe de souligner que ce mécontentement populaire qui témoigne, naturellement, de l’inconscience collective[i] et, surtout, de l’amoralité avérée de la classe dirigeante[ii], donc de l’élite politique, est consécutif au phénomène de l’insécurité. Il y a lieu de relever que cette tare sociologique résulte directement de l’absence manifeste de leadership à la fois politique et gouvernemental. Cette pathologie nocive procède de la carence du leadership national tout à fait capable d’affirmer la toute-puissance publique de l’État. Aussi découle-t-elle de la crise politique et démocratique qui affecte sévèrement le paysage politique et l’espace social[iii].
C’est dans ce contexte de quête d’identité à la fois politique et démocratique, surtout, de légitimation du pouvoir politique substantiellement fondé sur l’adhésion populaire et le consensus national qu’est immédiatement propulsé à la primature Me Jean-Henri Céant. Toutefois, c’est sans compter sur les ‘‘tireurs de ficelle’’ du jeu politique et institutionnel haïtien. En effet, ceux-ci directement impliqués dans de sales affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics ne souhaitent aucunement voir complètement élucider le sulfureux dossier Petro-Caribe. Force est de mentionner que celui-ci s’est littéralement transformé du jour au lendemain – [et dès son lancement] – en vraie pompe à phynance de certains dignitaires indélicats et de leurs soutiens véreux. Il a visiblement donné lieu à un système bien huilé d’évasion des capitaux sur le terrain international et d’achat des consciences sur le plan national.
Encerclé de toutes parts par des charognards de tout acabit, qui ont sûrement la décence de transformer Haïti en jungle tropicale et dont les crocs ne laissent pratiquement aucune chance à leurs proies, Me Jean-Henri Céant est contraint à rendre le tablier gouvernemental. Poussé vers la sortie de manière fort peu élégante, il se résout à prendre congé de la classe politique afin de se consacrer pleinement à sa famille et à ses affaires privées. Afin de ne point gêner les parties protagonistes de la crise politique haïtienne, il quitte même l’Ile d’Hispaniola qui l’a, certes, vu naître le 27 septembre 1956. Pour ainsi dire, l’homme n’a véritablement plus prise sur la vie politique et institutionnelle de son pays. Et ce, de quelque manière que ce soit.
Comme toute lueur d’espoir a disparu en vue de rétablir Haïti dans toutes ses attributions régaliennes, il se murmure déjà dans les couloirs des cénacles internationaux l’imminence d’une intervention militaire[iv] dont le leadership pourrait vraisemblablement être incarné par le Canada. Le hic est que les Haïtiennes et Haïtiens, dans leur ensemble, sont devenus très allergiques aux invasions ou occupations armées de leur territoire national. Ils sont pratiquement tous devenus réfractaires à toute présence militaire étrangère sur leur sol chéri.
Pourtant, l’intervention armée étrangère présentement projetée par de puissants États de la Communauté internationale est de nature à restaurer les ressorts d’un État défaillant. À en croire les avocats de cette cause, elle est, surtout, de nature à rétablir les prérogatives d’une entité publique en situation de mort cérébrale[v]. De ce point de vue, au regard de cet objectif, d’ailleurs fort louable, une telle intervention militaire est à saluer. Elle mérite, par voie de conséquence, d’être encouragée par tout ‘‘Esprit lucide’’, appuyée[vi] par toute ‘‘Bonne Conscience’’ puisqu’il y va assurément de la vie (et même de la survie) de tout un pays en détresse, de l’existence de toute une Nation en danger de mort.
C’est effectivement dans ce contexte de planification stratégique d’une invasion militaire extérieure par des puissants membres de la communauté internationale qu’interviennent rapidement de sévères sanctions ciblant différentes personnalités haïtiennes impliquées, à de différents degrés, dans la crise politique nationale. Parmi celles-ci, figure, bien sûr, Me Jean-Henri Céant. Celui-ci est effectivement accusé – [jusqu’à preuve du contraire, on ne sait vraiment pas trop par qui], ‘‘de soutien actif à des bandes armées et de parrainage financier au profit des groupes violents semant la terreur, s’illustrant odieusement par la commission des crimes horriblement graves, la prise d’otages ou la dévastation et propageant la désolation et l’insécurité en Haïti[vii]’’. En l’occurrence des gangs armés vivant très ouvertement d’actes de piraterie ou de terrorisme (CQFD).
Force est de souligner que toutes ces peines qui restreignent forcément et drastiquement les droits et libertés de Me Jean-Henri Céant, ne sont manifestement pas l’œuvre de l’État haïtien, d’une part. Et, d’autre part, celles-ci ne résultent même pas de l’ouverture d’une information judiciaire, d’ailleurs, vivement recommandée par le parquet. À vrai dire, elles ne procèdent nullement de l’établissement d’une enquête judiciaire minutieuse conduite par l’Instruction et ayant finalement donné lieu à la définition des responsabilités pénales ou civiles. Encore moins de la décision d’un tribunal certifié ayant réellement délibéré sur un cas porté à sa sereine connaissance ou d’un procès juste et équitable ayant, surtout, débouché sur le prononcé d’un jugement acquis.
Dans ces conditions, toute la question est de savoir effectivement dans quelle mesure le Canada est amené à prendre de telles sanctions sévères à l’encontre desdites personnalités politiques haïtiennes[viii]. Quelles considérations matérielles ont-elles finalement mené ce pays, d’ailleurs une référence indéniable en matière de droit démocratique, à l’adoption d’une telle posture ? La définition de ces sanctions a-t-elle été conseillée voire encouragée par les différentes autorités politiques, administratives et gouvernementales de facto de Port-au-Prince[ix] ? Dans les circonstances, s’agit-il très simplement d’une initiative isolée du Canada ? Autant de questions préoccupant les principaux concernés et, surtout, visés directement et personnellement par les mesures coercitives du Canada.
Entre-temps, Me Jean-Henri Céant, assisté de son conseil juridique, Me Camille Leblanc, clame urbi et orbi son innocence. Face à l’obscurité qui entoure les sanctions le pénalisant de manière personnelle, il entreprend une série de démarches politiques, administratives voire même diplomatiques pour faire pencher la balance de son côté. Débordant d’énergie en vue de rétablir sa réputation éprouvée d’homme de paix et de compromis[x], celui-ci saisit immédiatement le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies António Guterres pour forcer le Canada à fournir des preuves concrètes et factuelles l’incriminant personnellement. D’ailleurs, dans sa missive directement adressée au Secrétariat Général de l’ONU, il fait nettement et clairement remarquer que ‘‘le Canada s’est substitué à la commission d’enquête prévue par la résolution 2653 du Conseil de sécurité du 21 octobre 2022[xi]’’.
S’estimant tout à fait lésé dans ses droits autant inaliénables qu’inattaquables, Me Jean-Henri Céant a, ensuite, saisi les autorités politiques, administratives et gouvernementales haïtiennes dans le but de contraindre le Canada à exhiber à la face du monde les preuves irréfutables ayant servi à justifier la batterie de sanctions lui infligées. Et, enfin, cette personnalité de l’univers notarial a saisi M. Edwin Florexil qui est en fait le coordonnateur de la commission nationale de démantèlement, désarmement et réinsertion (CNDDR). En effet, cet organisme public est chargé d’établir la liste des trafiquants d’armes létales et de leurs soutiens indéfectibles en Haïti.
À toutes fins utiles et pratiques, il est donc question pour Me Jean-Henri Céant de savoir si son nom normalement éloigné des affaires scandaleuses et sulfureuses a déjà fait partie du registre des individus qui détiennent et commercent illicitement des armes létales en Haïti. Force est de relever que ceux-ci contribuent par leur comportement indélicat à la déstabilisation de l’Ile caribéenne aussi bien par la violence physique que par la violation des droits humains fondamentaux. Dans sa correspondance, il demande très nettement et très clairement à cet organisme national de lui communiquer – et même de publiciser, [peut-on même sous-entendre] – sa base de données dans l’optique d’être définitivement déchargée de toute accusation ou d’écarter toute suspicion – fût-elle légitime – qui pèse injustement et lourdement sur lui.
Face à cette affaire de sanctions qui ciblent hâtivement des personnalités haïtiennes avant même la mise en place du groupe d’experts enquêteurs et du comité de sanctions les visant directement, qui a véritablement intérêt à nuire à l’ex-premier ministre, a fortiori notaire de son État, Me Jean-Henri Céant[xii] ?
Joël Asher Lévy-Cohen
Journaliste indépendant
www.joelasherlevycohen.centerblog.net
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www.joelasherlevycohen1.wordpress.com
[i] Blasée, la communauté semble résignée au phénomène de la violence.
[ii] Cynique, cette élite sans foi ni loi fait de la violence physique un moyen de pression politique pour se frayer le chemin menant tout droit au partage du gâteau national, d’ailleurs, rapetissé au jour le jour et même quasi inexistant, ainsi que des miettes ‘‘sacralisées’’.
[iii] Ce phénomène sociologique, d’ailleurs, préjudiciable aux intérêts vitaux du sanctuaire national a, certes, élu domicile sur les plans aussi bien politique et économique que social et culturel.
[iv] C’est un cas sui generis. En effet, ce serait la première fois que la communauté internationale envisage d’intervenir dans un pays souverain et indépendant dans le dessein de rétablir coûte que coûte l’ordre public mis à mal par des voyous ou bandits de grand chemin, fussent-ils armés, et non pas par des groupes rebelles armés qui s’attaquent aux frontières internationales ou aux Institutions légalement établies dudit État.
[v] En effet, les interventions militaires étrangères en Haïti ont toujours eu pour effet de mettre à genoux un pays très jaloux de son indépendance chèrement acquise dans la douleur de l’esclavage. Des guerres franco-napoléoniennes des 18e et 19e siècles au régime d’occupation armée imposée par l’Organisation des Nations unies (ONU) de 2004 à 2017, celles-ci ont toujours laissé un goût sensiblement amer dans la tête des Nationaux et même de graves séquelles traumatiques dans l’histoire étatique (violations criardes des droits humains fondamentaux, pillage des biens publics et des ressources nationales, affaissement de l’économie nationale, importation des maladies infectieuses, etc.).
[vi] Dans le cas fort présent et, surtout, dans le contexte d’une situation internationale très volatile en raison de la guerre active en Ukraine, l’intervention militaire en Haïti est ardemment sollicitée par le Premier ministre de facto Ariel Henry.
[vii] Prise d’otages, exigence de rançons monétaires exorbitantes, mentorat idéologique, appui logistique, financement, etc.
[viii] Les sanctions prises à l’encontre d’anciens dignitaires haïtiens (Michel Joseph Martelly, Laurent Salvador Lamothe, Jean-Henri Céant) ont été officiellement annoncées par le gouvernement du Canada à la délégation haïtienne lors du XVIIIe sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie tenu à Djerba en Tunisie les 19 et 20 novembre 2022. Elles visent également d’autres personnalités politiques haïtiennes de premier plan – et non des moindres – accusées de détérioration de la situation sécuritaire en Haïti. Il s’agit des sénateurs de la République (Rony Célestin et Hervé Fourcand) et de l’ancien président de la chambre des députés (Gary Bodeau) pour avoir alimenté la violence.
[ix] Me Jean-Henri Céant a toujours refusé d’intégrer le gouvernement dirigé par le Premier ministre Ariel Henry. Il convient de mentionner que ce dernier réclame ouvertement une intervention militaire pilotée par le Canada en Haïti.
[x] Il est récipiendaire du prix consacrant sa carrière d’homme de paix voué à la cause de la non-violence. Prix attribué en Inde
[xi] En effet, ce texte juridique, d’ailleurs, opposable à quiconque sur le terrain du droit public international voire interne crée un régime de sanctions et un groupe d’experts chargés d’appliquer lesdites sanctions à l’encontre de personnalités politiques et économiques haïtiennes, manifestement impliquées dans des cas avérés de propagation de la violence armée, de violation criarde des droits humains fondamentaux, de corruption et la commission d’autres crimes graves, etc.
[xii] Ce qui est clair, en l’état actuel d’une situation de crise profonde affectant un pays au bord de l’effondrement inévitable et irréversible, Haïti se doit de retrouver très rapidement sa sérénité. Celle-ci passe inéluctablement par un dialogue interhaïtien organisé à l’intérieur du pays et, à cet effet, suivi par l’ensemble de la population souventes fois ‘‘ignorée’’. Sa durée doit être de 30 jours francs. Tous ces pourparlers politiques auxquels il faut nécessairement adjoindre les forces vives de la Nation, donc la société civile devenue un acteur forcément majeur, doivent être assurément placés sous le haut patronage de la Communauté internationale. Toutes ces négociations politiques interhaïtiennes doivent être encadrées et présidées par l’Église catholique qui est pratiquement au cœur du village et, en même temps, la première force morale et spirituelle du pays.